dimanche 31 décembre 2017

Lettre du 01.01.1918

Publicité, 1906


Madame Paul Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Meknès, le 1° Janvier 1917 (1)

Ma Chérie,

Arrivant hier, après 3 jours de marche, à Meknès, j’y ai trouvé tes lettres des 12-14-16-19 Décembre. Etait-ce la fatigue des 3 étapes, de la marche (2) très pénible et du brusque changement de climat (3) - toujours est-il que je suis resté un grand moment abasourdi et incapable de te répondre sur le coup. Je t’aurais dit aussi certainement quelque amertume en te répondant de suite, chose que je n’ai nullement l’intention de faire. Mais enfin pourquoi tant de détours et tant de subtilités pour distinguer entre tes affaires et les miennes, pourquoi me dire d’abord que tu ne crois pas que tu iras chez Me Lanos (4) puisque son attitude t’a froissée - ensuite que tu y iras la semaine prochaine et finalement que ta dignité s’y oppose ? Cela te donne-t-il réellement une telle satisfaction de me répéter une fois de plus que je n’ai pas réussi à régler notre affaire, ou plutôt “la mienne” ?
Enfin, laissons cela, car nécessairement cette discussion tournera à l’aigre-doux. Et pour te prouver que je me range complètement à ton avis, j’ai même l’idée d’écrire une lettre grossière à Me Lanos, une deuxième à Me Palvadeau (5) et 2 lettres ordurières aux 2 procureurs (6). De cette façon j’aurai de mon côté aussi le beau geste de l’homme digne et qui se moque du matérialisme. Mais quelle que soit ma décision, de grâce ne me parle plus jamais d’affaires comme de mon côté je m’abstiendrai rigoureusement. Tu n’as qu’à vendre (7) pour te procurer de l’argent et sans m’avertir - je m’en désintéresse complètement. Je vais aussi écrire à Penhoat de ne plus te parler des affaires et de communiquer avec moi s’il y avait quelque chose de particulier. Car avec son caractère il est même étonnant qu’il ne t’ait pas encore choquée ! Quant à Wooloughan, il aura, j’espère, assez de tact pour ne plus repasser et demander si tu as besoin de ses services.
Comme je te le disais déjà, la marche d’Aïn Leuh à Meknès était très pénible. Partis après une longue période de pluie et de neige, il faisait une boue épouvantable et les étapes sont longues et dures. Sur le plateau d’Ito (8), première étape, nous avons essuyé une tempête de neige et un froid glacial dont je me rappelle toujours. Heureusement nous étions logés cette nuit-là (du 29 au 30) dans des baraques sur de la paille et la place était si étroite que nous étions serrés les uns contre les autres de sorte que nous n’avons pas trop senti le froid. Mais les cuisiniers qui faisaient le repas dans la neige et la glace étaient à regretter  (9); aussi la soupe et le traditionnel riz au gras s’en ressentaient-ils fortement. Le lendemain matin, en partant pour El Hadjeb (10), on s’enfonçait dans la neige ou on pataugeait sur la glace avec un petit vent du Nord qui n’avait rien de caressant. Mais une fois descendus du haut plateau, c’était la boue, la sale boue collant aux brodequins qui devenaient peu à peu lourds comme du plomb. Le soir était encore très froid, et pour que nous n’ayons point des idées de dimanche, on nous faisait camper sous la petite guitoune hors du poste d’El Hadjeb. Bon Dieu qu’il faisait froid cette nuit du 30 au 31 ! Dans l’escouade nous avions obtenu (en le volant) un peu de foin et, par un coup de culot, quelques litres de vin à 80 cs (11) que nous fîmes chauffer pour tenir. Heureusement j’ai pu acheter en même temps aussi 1 1/2 livres de pain frais ce qui nous permit de faire la dernière étape El Hadjeb-Meknès (33 km) sans souffrir de la faim. Car nous avions tout juste une barre de chocolat Poulain (12) et un bout très mesquin de viande.
En descendant complètement dans la plaine de Meknès (13), le climat change et devient bien plus doux, mais aussi pluvieux en cette saison-ci. Et, comme conséquence, la boue règne en maître. Nous sommes arrivés sous une pluie fine et pénétrante et quant à moi j’étais mouillé jusqu’à la chemise. Nous sommes logés dans des baraques comme à Aïn Leuh, et le camp, planté de vieux oliviers, se trouve à 200 m de la gare. A côté se construit le nouveau quartier européen dont plusieurs très belles maisons sont déjà terminées. Ce qui est le plus appréciable c’est la présence au camp de lavabos et douches - ces dernières à l’eau tièdes - et gratuites. Un grand souk avec des cantines (14) se trouve à 50 m de nos baraquements.
Je te laisse pour le moment, ayant encore toute mon autre correspondance (15) à faire, et continuerai demain. 
Mes meilleurs voeux et baisers pour toi et les enfants.

Paul



Notes (François Beautier)
1) - « 1917 » : en fait 1918.
2) - « marche » : Paul vient de parcourir à pied les 90 km de route entre Aïn Leuh et Meknès.
3) - « climat » : Aïn Leuh, en montagne, à plus de 1500 m d’altitude, est habituellement enneigé de novembre à mars alors que Meknès, à 550 m, ne connaît guère qu'en janvier des températures négatives.
4) - « Me Lanos » : avocat à Bordeaux, il est chargé par les Gusdorf (et donc par Paul, chef de famille) de soustraire du séquestre une partie de leurs biens afin de permettre à Marthe et aux enfants de vivre décemment. Ce n’est pour le moment toujours pas le cas puisque depuis octobre 1917 Marthe se trouve réduite à sous-louer une partie de son logement pour subvenir aux besoins de la famille (voir la lettre du 28 octobre 1917).
5) - « Me Palvadeau » : cet avocat à Nantes est chargé par Paul d’obtenir la levée du séquestre sur sa part des actifs et bénéfices dans la société Leconte (levée sinon totale, du moins partielle, voire mensualisée sous forme d’une pension versée à Marthe). 
6) - « 2 procureurs » : ceux des tribunaux de Nantes et de Bordeaux qui gèrent le séquestre des actifs et bénéfices de Paul dans la société Leconte (domiciliée à Nantes), et le séquestre des fonds et des titres des Gusdorf (habitant la juridiction de Bordeaux) déposés dans diverses agences bancaires de Bordeaux. Ces deux volets du séquestre qui frappe la famille ont été prononcés dès l’automne 1914 au titre de la loi du 2 août 1914 sur la saisie des biens des étrangers « ressortissants ennemis ».
7) - « vendre » : Marthe ne peut rien vendre légalement puisque les biens de la famille sont sous séquestre. Cependant elle peut gager ses bijoux (il semble qu’elle l’ait fait) ou faire vendre par des amis les titres au porteur (anonymes) que Paul a conservés dans son bureau professionnel (si elle parvient à y accéder) ou dans son habitation. Pour le moment, il semble que deux amis de Paul (Penhoat et Wooloughan) aient déjà servi d’intermédiaires dans ces ventes illégales.
8) - « Ito » : ce haut plateau en avant (à l’ouest) du versant montagnard du Moyen Atlas (sur le rebord duquel se situe le camp d’Aïn Leuh) affiche une altitude moyenne légèrement inférieure à 1500 m. Le site d’Ito contrôle d’ailleurs un col (le « Passage d’Ito ») à 1428 m d'altitude. 
9) - « à regretter » : les cuisiniers d’Aïn Leuh n’officient pas à Ito.
10) - « El Hadjeb » : cette ville (actuelle El Hajeb) à un peu plus de 1000 m d’altitude marque la fin vers l’ouest du haut plateau d’Ito et le début du plateau de Meknès.
11) - « 80 cts » : 80 centimes, c’est alors le prix d’achat du litre de vin par l’intendance militaire, qui le revend habituellement au moins trois fois plus cher aux soldats. Paul et ses compagnons ont réussi, par un « coup de culot », qui était certainement plus ou moins un « coup de force », à se procurer du vin à prix coûtant.
12) - « Poulain » : Paul, fin connaisseur en matière de chocolat, préférait certainement le Menier (voir sa lettre du 30 octobre 1915) au Poulain, produit maintenant en grande quantité par l’entreprise (fondée en 1848) qui a multiplié par 6, entre 1914 et 1917, ses fabrications de barres individuelles emballées pour répondre aux commandes de l’Armée.
13) - « plaine de Meknès » : il s’agit précisément d’une haute plaine. 
14) - « cantines » : restaurants populaires à prix modiques installés dans l’enceinte du marché traditionnel (le souk). 

15) - « autre correspondance » : revenant à sa résolution de gérer lui-même les « affaires » concernant le séquestre, que Marthe considère comme étant celles de Paul, celui-ci ne l’informe plus de la destination et de la teneur des courriers qu’il envoie pour tenter de les régler. 

lundi 18 décembre 2017

Lettre du 18.12.1917

Skatspieler, Otto Dix, 1920


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Aïn Leuh, le 18-12-17

Ma Chérie,

Je suis sans tes nouvelles depuis tes lignes du 30 Novembre : il est vrai que, par suite des chutes très abondantes de neige dans la région, les communications deviennent de plus en plus difficiles. Tu recevras sans doute tout un paquet de mes lettres en même temps et tu auras reçu dans la première semaine de Décembre mes premières nouvelles d’Aïn Leuh. J’ai rarement vu autant de neige : c’est un véritable temps de Noël, comme on se présentait cette fête dans son enfance : une couche d’au moins 30 à 40 cm toute blanche sur tous les objets et des glaçons énormes au bord des toits. Les flocons tombent sans discontinuer, si denses qu’on ne voit pas bien loin et les hommes ont beau enlever la neige sur les routes, une heure plus tard on ne s’aperçoit même plus de leur travail. Il me semble qu’autrefois la fête de Noël tombait toujours dans une période comme celle-ci, mais chose bizarre, dès que mes souvenirs commencent à se préciser, je me rappelle que nous avions toujours des pluies à Noël, à quelques rares exceptions près.
J’ai reçu toutefois le Journal du Peuple (1) jusqu’au 5 courant, bien que du 30-11 au 5-12 tu m’aies sûrement écrit aussi des lettres. L’article “La voix des mutilés allemands” que tu avais marqué n’est sûrement pas reproduit par la grande presse, étant de nature à apaiser les haines au lieu de les aviver. Qu’il y ait eu aussi en Allemagne des publications dans le genre du “Feu” m’a également intéressé. Le député Mayeras (2) de la Seine est sûrement dans le vrai lorsqu’il explique que la grande majorité des députés a peur de perdre ses mandats en cas de nouvelles élections. Cela doit s’appliquer aussi bien à la France et l’Italie qu’à l’Allemagne et l’Autriche (3), car tous ceux qui souffrent en ont assez et, sans considérations politiques, désirent un changement profond des états de choses actuellement - et depuis trop longtemps - existants. Il me semble toujours que cette guerre ressemble de plus en plus à une épreuve de l’élasticité, de la soumission et servilité humaines et que bientôt on arrive de part et d’autre à l’extrême limite. Dans l’intérêt de l’humanité il serait à souhaiter que cette limite soit atteinte simultanément dans les camps opposés ; mais l’exemple russe a prouvé que tous les hommes ne sont point égaux (malheureusement) ; il apparaît cependant presque certain que c’est là la seule issue possible de l’impasse dans laquelle tout le monde est engagé. Et ce serait en même temps une démonstration éclatante des peuples, de la grande masse anonyme, qu’ils n’entendent pas qu’on dispose d’eux sans égard à leur souffrance et leurs sentiments.
Je me demande parfois quelles idées peuvent germer dans les têtes de nos enfants pendant cette période. Suzanne notamment doit se faire des réflexions qui, peut-être, ne resterons pas sans influence sur son caractère. Elle est du reste moins communicative que d’autres enfants de son âge et je ne puis pas me figurer que ce soit par simple calcul de se rendre intéressante. En temps normal, cela aurait été le moment de l’envoyer au lycée de jeunes filles ...

le 19-12

Il a neigé encore toute la nuit ; hier soir de 9 h à 10 h, lorsque j’étais de garde, les flocons tombaient de telle façon qu’en 5 mn j’étais couvert d’une couche épaisse - un véritable Père Noël. Les chacals rôdent autour du camp et des milliers de corbeaux sont posés presque à côté des fils de fer. Ils ne la mènent pas bien large non plus, les pauvres bêtes - il y a bien 60 à 70 cm de neige dehors : je n’en ai jamais vu autant, exception faite peut-être de la fête du ski au Feldberg (4), dans la Forêt Noire. Cela va être 12 ans au mois de Février. C’est égal, on commence tout de même à se faire vieux.
Le convoi et le courrier de Meknès vont rester encore en panne aujourd’hui - c’est tout de même embêtant d’être bloqué comme cela en automne déjà, car l’hiver ne va commencer qu’après-demain. Il s’en suivra - si le temps continue - que nous ne pourrons pas aller non plus à Meknès le 29. Sous un rapport je ne le regretterais pas, car il ne fait pas bon coucher en cette saison-ci sous la petite tente ni marcher dans la neige, sac au dos, des étapes d’une trentaine de kilomètres. Mais d’un autre côté les lettres etc. mettraient 3 jours de moins pour l’aller et autant pour le retour ce qui est appréciable.
Je vais attendre jusqu’à 1 1/2 h pour voir si le courrier n’arrive pas avec des nouvelles de Me Palvadeau, soit directement, soit par ton entremise. Sinon, je vais lui écrire un mot. Je regrette seulement que par suite de la longueur de l’affaire des titres tu n’aies pu lui envoyer encore les 200 Frs (5). Car cela aurait tout de même fait un meilleur effet.
Peut-être que Me Lanos (6) t’a tout de même avisée entretemps ...?
Et comme cette lettre arrivera à peine pour le 1° de l’an, laisse moi te souhaiter encore que 1918 voie enfin la fin de notre misère, de la guerre et de notre séparation.
Je t’embrasse ainsi que les enfants bien tendrement.

Paul


Le bonjour pour Hélène.


Notes (François Beautier)
1) - « Journal du Peuple » : fondé par le socialiste contestataire Henri Fabre, ce quotidien était alors le mieux informé des actualités russes. Il devint d’ailleurs le propagandiste des thèses révolutionnaires internationalistes léninistes.
2) - « Mayeras » : en fait Barthélémy Mayéras (voir la lettre du 16 décembre 1917).
3) - « l’Autriche » : Paul ne déroule ici qu’une infime partie de la liste de la cinquantaine de nations qui souffraient alors de leur implication dans la Grande Guerre. 

• Suite du 19/12/17 :
4) - « Feldberg » : station de ski renommée en Allemagne, en Forêt Noire à 1277 m d’altitude.
5) - « 200 Frs » : il s’agit d'une avance sur les honoraires de Me Palvadeau, avocat de Paul à Nantes. Marthe n’a pas pu la régler puisque le juge du séquestre n’a toujours pas autorisé la vente de titres appartenant au couple.
6) - « Me Lanos » : cet avocat représente son collègue Palvadeau à Bordeaux.

vendredi 15 décembre 2017

Lettre du 16.12.1917

Bab Gnaoua, Meknès (Joseph Miquel)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Aïn Leuh, le 16 Décembre 1917

Ma Chérie,

Ta lettre du 25 Novembre s’était égarée à la 24° Comp. du 2° Etranger (1) qui se trouve également en garnison ici, et me parvient aujourd’hui avec celle du 30 et les lignes de Suzanne datées du 29 courant. Comme je te le disais déjà, mon genou m’a fait souffrir encore un peu pendant le premier convoi sur Lias et M’Rirt (2), mais a complètement disparu depuis. Pendant la dernière colonne sur Azrou et le Djebel Hebri (3), je n’ai plus rien senti et ai même marché sans me fatiguer.
Tes 2 derniers paquets de journaux me sont également parvenus en bon état. J’y ai lu avec un intérêt particulier les articles de Rapoport (4) sur la Russie, ainsi que l’article de fond de Mayeras (5) sur l’attitude de l’Entente vis à vis de la République Russe (6). Ils ont, je crois, tous les deux raison et il est probable que ce sera l’Allemagne qui tirera tout le bénéfice moral et matériel de la Révolution Russe. Mr. Charles Humbert (7) semble sérieusement menacé dans sa carrière politique : sa démission comme vice-président de la Commission des Armées et la levée de son immunité parlementaire par le Sénat en disent assez long.
Pour ce qui concerne l’affaire L. L. & Cie (8), je reste convaincu que si des difficultés réelles survenaient pour moi, Me Palvadeau m’en ferait part, ou bien il t’aurait écrit à toi. Tu sembles oublier que je lui avais donné à Nantes sur papier timbré tout pouvoir pour la liquidation de la Société et que dans sa précédente lettre Me Crimail (9) écrivait à Penhoat que c’était précisément Me Palvadeau qui s’occupait de la rédaction des contrats. Vu ta rancune contre Me Lanos, je regrette même de t’avoir demandé à plusieurs reprises d’aller le voir ; si donc ce n’était pas encore chose faite à la réception de la présente lettre, n’y va pas, mais donne-moi l’adresse de cet avocat pour que je lui écrive de Meknès (où nous serons du 31 Décembre au 15 Février). Je sais bien qu’il habite Rue Margot, mais je ne me rappelle plus ni son numéro, ni son adresse complète, sachant seulement qu’il a un nom double.
Tu n’as qu’à vendre en attendant que notre affaire soit mise à point. Cela t’évitera au surplus des émotions qui ne pourraient que te nuire dans l’état où tu es.
Je suis bien content du succès de Suzanne et constate dans sa lettre de sérieux progrès quant à l’orthographe. A moins que tu ne sois intervenue pour la correction ? Certainement, Georges apprendra mieux avec Melle Arfeuille (10) qu’à l’école, du moins pendant la première année. J’aurais cru cependant que ses leçons et celles de Jean (11) seraient communes, alors que tu me dis que Jean n’a pas encore dépassé la première page ?
Nous voici donc à la veille de Noël, la quatrième fois depuis le début de la guerre. Ce sera donc encore une fois une fête assez triste pour des millions de familles - pourvu que ce soit seulement la dernière de la guerre. Je regrette vraiment d’être ici dans l’impossibilité de rien pouvoir envoyer ni pour toi ni pour les enfants qui, sûrement, doivent attendre le Père Noël avec impatience. Mais, comme déjà dit, j’espère pouvoir rattraper cela à Meknès au début du mois prochain. 
Le temps est redevenu beau ici depuis quelques jours et il fait même très doux. Mon ami Kern (12) a la chance de passer Noël et le jour de l’An chez lui : il est vrai que depuis Septembre 1914 au Maroc il attendait sa perm avec une impatience exaspérée et était depuis longtemps au désespoir. Il est parti deux jours après mon retour, ensemble avec le jeune homme de Bègles (13) dont j’ai vu la femme.
D’une façon générale, le tour des permissions marche assez régulièrement à présent, mais comme les hommes restent souvent trop longtemps absents, faute de communications maritimes, il se trouve quelque peu retardé. Je crois cependant que l’itinéraire via Casablanca-Bordeaux, adopté pour la plupart des permissionnaires, comporte bien moins de retard qu’Oran-Marseille ou Port-Vendres, d’autant plus qu’une partie des hommes, domiciliés dans le Midi et le S.E. passe par Casablanca-Marseille (14). Enfin, et c’est l’essentiel, je compte qu’avec un peu d’appui de la part de mes chefs (avec lesquels je suis bien), je pourrai repartir d’ici en Septembre (15) prochain si toutefois la guerre n’était pas finie d’ici là. Cela fait 9 mois (16) en chiffres ronds ...
Ce qui ne laisse pas de m’inquiéter, c’est que d’ici 3 mois tu commenceras à te ressentir sérieusement de ton état qui t’immobilisera peu à peu complètement à la maison. Pourquoi, depuis plus d’un mois, n’es-tu pas allé trouver Melle Campana (17)? Je me demande quelquefois ce qui a pu te changer à ce point que tu mets les questions les plus importantes - et qui te préoccupent toi-même autant que moi, sinon davantage - tout à fait à l’arrière-plan ...
Il est bien entendu que si une complication quelconque se présentait, tu te ferais certifier par le médecin et légaliser par le Commissaire de Police la gravité de ton état de santé de façon à me permettre de faire avancer mon tour de permission si possible.
Espérons toutefois que cela (18) se passera normalement et que ce sera, comme le disait déjà le directeur Janns (19) en 1913, un garçon pour compléter le 2° couple et te faire plaisir à toi-même.
Mes plus tendres baisers pour toi et les enfants.

Paul



Notes (François Beautier)
1) - « 2° Étranger » : Paul appartient à la 24e Compagnie du 1er Régiment étranger. Le poste d’Aïn Leuh héberge des détachements venus de régiments différents, qui se complètent et se relaient pour en assurer en permanence la garde et le service de surveillance des alentours.
2) - « M’Rirt » : en fait Mrirt, voir la lettre du 25 novembre 1917.
3) - « Azrou et le Djebel Hebri » : voir la lettre du 4 décembre 1917.
4) - « Rapoport » : il s’agit de Charles Rappoport, journaliste au « Journal du Peuple » depuis le début janvier 1917.
5) - « Mayeras » : Barthélémy Mayéras, député socialiste contestataire de la Seine de 1914 à 1919, collaborateur du « Journal du Peuple » et du « Populaire de Paris ». 
6) - « de la Révolution russe » : effectivement, l’Allemagne profite dans l'immédiat du « pacifisme intégral » du gouvernement révolutionnaire russe mais sera finalement profondément contaminée par l’idéologie révolutionnaire léniniste.
7) - « Charles Humbert » : sénateur de la Meuse depuis 1908, ancien journaliste au Matin, chantre des nationalistes bellicistes, il est devenu propriétaire du « Journal » en 1915 grâce à des fonds d’origine douteuse (allemande et turque), ce qui lui valut de perdre son immunité parlementaire en décembre 1917 puis d’être arrêté pour intelligence avec l’ennemi en février 1918. Il sera finalement acquitté mais ses deux complices, Bolo Pacha et Pierre Lenoir, seront exécutés. Paul a parlé pour la première fois de Charles Humbert dans sa lettre du 14 août 1915.
8) - « L. L. & Cie » : Société Louis Leconte et Compagnie.
9) - « Me Crimail » : cet avocat remplace à Nantes son confrère Bonamy depuis le printemps (voir la lettre du 22 mai 1917).
10) - « Melle Arfeuille » : cette demoiselle, ici mentionnée pour la seconde fois (dans la lettre du 25 novembre 1917, Paul l'appelait « Mme Arfeuil »), était sans doute une répétitrice à domicile employée par Marthe (qui la logeait peut-être).
11) - « Jean » : rien n’indique l’identité de cet enfant ici mentionné pour la première et dernière fois. 
12) - « Kern » : ce Légionnaire ami a été évoqué pour la première fois dans la lettre du 23 novembre 1917. 
13) - « Bègles » : commune de la banlieue sud-est de l’agglomération bordelaise. Le jeune homme et l’épouse en question sont ici évoqués pour la première fois.
14) - « Casablanca-Marseille » : Paul parle en fait de la ligne Oran-Marseille qu’empruntaient préférentiellement les permissionnaires se dirigeant vers le sud-est de la métropole. La ligne Casablanca-Marseille par Tanger et Port-Vendres était moins fréquentée car plus longue, donc dangereuse.
15) - « septembre » : en septembre 1918, un an se sera écoulé depuis le départ en permission de Paul en septembre 1917. Il aura donc droit à une nouvelle permission de détente d’un mois. La naissance d’un enfant lui donnerait aussi droit à permission, cette fois « pour raison familiale ».
16) - « 9 mois » : Marthe est enceinte…
17) - « Melle Campana » : médecin ou infirmière de Marthe.
18) - « cela » : la naissance attendue.

19) - « directeur Janns en 1913 » : Alice, seconde fille et troisième enfant des Gusdorf, est née en 1913. Paul souhaite la naissance d’un garçon en 1918 et se protège d’une accusation de machisme en s’abritant derrière la remarque d’une personne amie apparemment respectée par le couple pour formuler son espérance. Mais ce « directeur Janns », mentionné ici pour la seconde fois (voir la lettre du 2 janvier 1917), demeure un personnage énigmatique. 

mercredi 13 décembre 2017

Lettre du 14.12.1917

Porte du Mellah, Meknès (Pierre Miquel)


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Aïn Leuh, le 14 Décembre 1917

Ma Chérie,

Le courrier d’hier ne m’a porté que ta lettre du 2 courant : la précédente étant datée du 22, il m’en manque apparemment au moins une, celle dans laquelle tu m’as parlé sans doute de la correspondance de Mr. Penhoat contenue dans l’enveloppe timbrée du 24. Je te renvoie du reste cette même correspondance ci-jointe, car il vaut mieux que tu la conserves jusqu’à liquidation de l’affaire Leconte. Je t’envoie également un nouveau timbre du Maroc en te priant de le mettre dans mon album.
La missive de Mme L. (1) est en effet aussi bizarre qu’étrange et on peut facilement se perdre en conjectures à son sujet. Il me paraît cependant assez invraisemblable qu’à son âge et avec son très peu d’esprit elle aurait pu charmer un séducteur ... De toutes façons elle a dû donner à Mr. Penhoat une adresse à laquelle des lettres lui parviendront sûrement et je pense qu’il serait intéressant de voir ce qu’elle a et ce qu’elle veut, ne fût-ce que parce qu’on apprendrait certainement des éclaircissements sur la conduite et la situation de son mari. Je suppose donc que Penhoat lui a tout au moins écrit un mot disant que pour le moment il ne peut pas venir et qu’en attendant son prochain voyage il serait intéressant pour lui d’être mis au courant ... Personnellement j’ai été toujours étonné que Mme L. ait cessé si brusquement toute correspondance, vu que vis à vis de Penhoat et de moi elle a toujours agi en amie et plutôt en alliée de nous que du Qt (2). Tu en vois en outre en quoi consiste la “prostration” (3) dont le vieux renard faisait état dans sa lettre à l’avocat. Il n’est toutefois pas si facile que cela de mettre sa femme légitime à la porte et je serais vraiment curieux d’apprendre la clef de ce mystère.
Merci des 3 numéros du J.P. (4) et du “Canard” (5). N’as-tu toujours pas reçu mes lettres de Tissa, Fez et les premières d’Aïn Leuh ?
Deux jours de beau temps ont suffi pour fondre la neige dans le camp et sécher la terre, mais les montagnes et la forêt sont encore toutes blanches.
Je reste stupéfait de ta résignation de laisser aller et courir au lieu d’aller voir chez Me Lanos où en sont les choses. Comment as-tu pu perdre l’énergie et le sens des réalités à ce point ? 
C’est le 29 courant que nous descendons sur Meknès (6) où nous arriverons le 31 et d’où je t’enverrai un souvenir, car d’ici on ne peut même pas envoyer un colis postal.
Bonnes fêtes, ma chérie, et ressaisis-toi un peu - les beaux jours sont plus proches qu’on ne le pense.
Je t’embrasse bien tendrement.

ton Paul


J’ai envoyé hier la carte à Georges. Vas-tu faire un arbre de Noël ?


Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - « Mme L. » : Madame Leconte, qui semble avoir déserté le domicile conjugal ou en avoir été expulsée. Elle était la deuxième épouse de Leconte, qui avait divorcé de la première.
2) - « du Qt. » : cette abréviation renvoie au mot allemand « quertreiber » qui signifie officiellement « gèneur », « trublion », « empêcheur de danser en rond » et argotiquement « emmerdeur », « chieur »... En anglais, elle se prononce « cutie » et joue alors sur le mot « quiet » (tranquille) pour désigner ironiquement « le pépère », « le père tranquille », « le chéri » ou « le mignon ». Dans les deux cas Paul désigne ainsi son associé Leconte.
3) - « prostration » : symptôme de dépression caractérisé par la lassitude, l’immobilité, la fatigue... 
4) - « J.P. » : Journal du Peuple (dirigé par le socialiste contestataire Henri Fabre, qui y publie notamment des articles de Pierre Brizon, le député pacifiste, socialiste et internationaliste de l’Allier). 
5) - « Canard » : le « canard enchaîné », hebdomadaire satirique républicain antimilitariste et anticlérical.
6) - « descendrons sur Meknès » : effectivement, la ville est à une altitude de 550 m alors que le poste d’Aïn Leuh culmine à plus de 1500 m. Mais l’expression signifie avant tout, pour le soldat Paul et son épouse Marthe « s’éloigner du front », c’est-à-dire « descendre à un moindre niveau de risque ».


mardi 12 décembre 2017

Carte postale du 13.12.1917

Carte postale Paul


Monsieur Georges Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

le 13-12-17

Mon cher petit Georges (1),

Tu as voulu voir la baraque dans laquelle je couche : tu la trouveras sur cette carte, marquée d’une flèche, mais tu n’en vois que le toit. Mon lit se trouve sous l’endroit désigné par une croix.
Reçois, ainsi que Maman et Hélène, mes meilleurs voeux de Nouvel An.
Bonnes fêtes, et une grosse bise.

Papa


Sauras-tu m’écrire un mot tout seul ? 


Note (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - « petit Georges » : cette carte (qui n’est pas d’anniversaire) manifeste un net changement dans la considération que Paul porte à son fils. Le futur philosophe a alors cinq ans et bénéficie des leçons d'une institutrice. Cependant le vide créé entre père et fils par la guerre ne sera jamais comblé.

samedi 9 décembre 2017

Lettre du 10.12.1917

Forêt à Aïn Leuh (Ebay)

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza (1), le 10 Décembre 1917

Voilà enfin ta lettre du 22 Novembre ensemble avec une enveloppe contenant 2 lettres de Mr. Penhoat au sujet de l’affaire Leconte. J’étais persuadé - et cela t’exaspérait même un  peu de me voir aussi sûr que cela - que Me Palvadeau (2), même s’il ne t’écrivait pas, poussait l’affaire et je suis content qu’elle semble entrer enfin dans le domaine des réalités. Tu diras naturellement que tu n’as pas encore le contrat en mains et moins encore l’argent, mais avec mon optimisme inépuisable je vois ce moment pas trop loin. Inutile de te dire que ce sera quand même un grand soulagement pour moi de te voir de nouveau en possession régulière de ta pension, d’autant plus que je constate avec une certaine amertume ta répugnance d’intervenir personnellement auprès de Me Lanos, démarche qui serait pourtant si utile, voire même indispensable pour te libérer de plusieurs côtés, y compris celui de Mme Robin (3)... J’attends avec le plus grand intérêt la suite de l’affaire.
J’ai reçu également le saucisson que tu m’as adressé comme recommandé et t’en remercie. Il est excellent comme d’habitude ! Mais tu aurais tort de te figurer que je souffre de la faim - ce n’est point le cas, comme je te le disais déjà l’autre jour.
Nous avons maintenant l’hiver ici dans toute sa rigueur. Depuis 2 jours ou 3 il y a eu des chutes très abondantes de neige et le réseau de fil de fer autour du camp offre un aspect très pittoresque, chaque fil étant couvert d’une épaisse couche de neige. Aussi a-t-il fallu envoyer des équipes pour déblayer la route et faire faire des chemins de communication entre les différentes baraques. Depuis hier soir il pleut de la neige fondue et il fait une boue épouvantable. Heureusement qu’on nous a distribué des sabots ; je me suis fait faire une paire de chaussons en feutre et de cette façon j’ai les pieds bien chauds. Je ne marche qu’en sabots toute la journée et je les trouve bien commodes ; inutile de te dire que mon imperméable fonctionne aussi. 
Je n’ai pas eu l’occasion hier et aujourd’hui d’aller au souk (4) acheter des cartes, mais je vais en adresser à Georges si toutefois j’en trouve une dans le genre qu’il désire. Je t’ai envoyé déjà plusieurs vues du camp de sorte que tu peux te faire une idée approximative. Ce que je ne comprends pas du tout, c’est que mes lettres et cartes de l’Oued Amelil, Tissa et Fez ne te soient pas encore parvenues le 22 Novembre (5). Dès mon arrivée ici je t’ai écrit très régulièrement, à l’exception de la durée des 2 petites colonnes. Voici les dates de mes lettres et cartes : 18-20-22-23-25-29 Novembre, 4-7-8 Décembre (6).
Il est naturellement inutile de parler à Knudsen (7) de l’histoire du petit secrétaire (8): 1°) je l’ai déjà fait moi-même et 2°) si c’est lui qui l’a fait, c’est sur l’ordre de Leconte. Je reste d’ailleurs persuadé que c’est sous le règne Siret (9) que l’affaire a eu lieu, puisqu’à l’avènement de Mr. Gérard, le meuble était déjà ouvert.
Je t’avais déjà écrit la raison pour laquelle j’ai couché à l’infirmerie à Oudjda. Le D.I.O. (10) était plein à craquer et on y ramassait en outre des tas de totos (11). Or, comme j’avais trouvé un camarade à l’Infirmerie (il y tirait au flanc (12) depuis 4 mois), celui-ci m’a proposé un lit dans sa salle. L’histoire de la perte de ma valise à Bel Abbès (13) m’a beaucoup ennuyé ! Voyant dans le temps l’ordre parfait qui y régnait, je n’aurais jamais cru qu’une valise régulièrement enregistrée puisse se perdre de cette façon. Il y avait en effet le nécessaire de voyage provenant de ta soeur, quelques paires de bas en laine, une chemise et des papiers ...
Le “Kiki” (14) de la Petite n’a donc pas fait long feu, à moins que tu aies réussi à l’opérer radicalement, mais je doute fort que Georges ait senti beaucoup de satisfaction de partager son lit avec le Kiki malade.
Le raisonnement de Mme Lemaître au sujet des “restrictions” (15) dans la vie conjugale est réellement ridicule et je regrette vraiment de ne pas avoir été présent pour lui répondre. J’ai entendu en effet des dizaines sinon une centaine d’hommes mariés de toutes les classes qui avouaient franchement le contraire, sans nier qu’ils prenaient toutes les mesures de sécurité et prévention possibles, aussi bien de leur côté que de celui de la femme. Dans le cas particulier de Mme L. il y a peut-être en effet une restriction ou soumission volontaire, mais qui vient sans doute plutôt de son côté ... que de celui de son mari.
On avait affiché ici hier ou samedi un nouveau message du Président Wilson (16). Malgré tous les changements qu’a subis cet homme en tant que représentant officiel d’un grand état belligérant, on ne peut tout de même pas lui refuser ceci qu’il est plus clair et plus précis dans ses discours que les autres hommes d’Etat de l’Entente (17). Il continue aussi toujours à distinguer entre le Kaiser et le peuple allemand, se donnant ainsi l’allure de combattre à contre-coeur ce dernier. A moins que ce ne soit là une concession aux nombreux Américains d’origine allemande (18)? Pour ce qui est des Russes (19), on annonce officiellement que les troupes d’occupation de la Roumanie (20) ont également signé l’armistice et que les Italiens (21) reculent toujours. Est-ce - je veux dire cette franchise de la censure - un signe qu’on veut préparer le peuple à ne pas s’attendre tout de même à la réalisation de tout le programme de guerre ? Ce qu’il y a de bizarre, c’est que tous les engagés pour la durée de la guerre d’ici prétendent qu’il y a la Paix dans l’air ...
Si c’était seulement vrai ...
Je te renvoie ci-joint les premières lettres de Penhoat et ferai suivre les autres par un prochain.
Mes plus tendres caresses.


Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - « Taza » : ce courrier est en fait envoyé d’Aïn Leuh où stationne alors Paul.
2) - « Me Palvadeau » : avocat de Paul et de son associé Penhoat à Nantes.
3) - « Mme Robin » : logeuse de Marthe, elle lui réclame des arriérés de loyers que Marthe, sa débitrice, ne peut payer, faute de versement par la société Leconte (sous forme de pension) des parts de bénéfices qui reviennent à Paul, son époux. 
4) - « souk » : mot arabe désignant le marché.
5) - « 22 novembre » : la carte de l’oued Amlil (où Paul était vers le 10 novembre) manque. La lettre de Tissa est datée du 12 novembre ; toute la série des cartes postées de Fès avant le 20 novembre manque. 
6) - « 8 décembre » : de toute cette série de courriers, ceux des 18 et 22 novembre et celui du 7 décembre manquent. En somme, un tiers n‘est pas arrivé jusqu'à Marthe.
7) - « Knudsen » : employé de la société Leconte dans son bureau de Bordeaux, avant-guerre dirigé par Paul.
8) - « petit secrétaire » : le meuble où Paul rangeait ses papiers.
9) - « Siret » : ancien employé de Paul, il l’a remplacé à Bordeaux sur ordre de Leconte. Il apparaît ici qu’il fut lui-même remplacé par un certain Mr. Gérard lorsqu’il fut renvoyé par Leconte en février 1916. Il est le neveu d'Hélène, la fidèle employée de Marthe.
10) - « le D.I.O. » le dépôt des isolés à Oujda (où Paul fit étape au début novembre).
11) - « de totos » : de poux (dont les « morpions », poux de pubis).
12) - « tirait au flanc » : faisait le malade pour se soustraire à toute corvée.
13) - « Bel Abbès » : Sidi Bel Abbès, en Algérie, siège et dépôt principal de la Légion en Afrique du Nord.
14) - « le kiki » : ours en peluche, ou doudou (chiffon favori) de la petite Alice, âgée de trois ans.
15) - « restrictions » : allusion aux pratiques d’évitement des grossesses, à une époque où tout avortement provoqué constitue un délit et où toute contraception est majoritairement considéré comme immorale. 
16) - « message du Président Wilson » : allusion à son discours sur l’état de l’Union, prononcé le 4 décembre 1917, dans lequel apparaît le concept wilsonien de « victoire noble ». 
17) - « autres hommes d’État de l’Entente » : allusion à Georges Clemenceau (nommé le 16 novembre 1917), à David Lloyd George et peut-être au tout nouveau Président du Conseil italien, Victor-Emmanuel Orlando (nommé le 29 octobre 1917).
18) - « origine allemande » : les Américains d’origine allemande étaient depuis les années 1910 plus nombreux que ceux d’origine anglaise. Certains commentateurs alarmistes prétendaient que les régions orientales des USA (proches de l’Atlantique) étaient en passe de constituer une « Nouvelle Prusse » sous l'effet d'une immigration massive d'Allemands. Depuis la rupture des relations diplomatiques avec l’Allemagne en février 1917, la presse anglo-saxonne américaine considérait tout immigrant d’origine allemande comme un espion potentiel. 
19) - « des Russes » : le 21 novembre, le général Nikolaï Krylenko demanda officiellement l’armistice, qui fut signé le 5 décembre.
20) - « la Roumanie » : l’armistice (dit « de Focsani ») demandé par la Roumanie (presque totalement occupée et dont l'allié russe faisait défection du fait de la Révolution d'Octobre), fut signé par les Austro-Hongrois au nom de la Triplice le 9 décembre 1917. 
21) - « les Italiens » : le recul des Italiens ralentit alors que la répression des mutins se poursuit et confirme la reprise en mains des troupes italiennes par leurs officiers.