vendredi 30 septembre 2016

Lettre du 01.10.1916

Départ en colonne, 1916 https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/3277/files/2016/06/Départ-en-colonne-2.jpg


Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Col de Touahar, le 1° Octobre 1916

Ma Chérie,

J’ai ta lettre du 22 Septembre, et de mon côté je te répète que si je réfute ton plan (1), ce n’est point par esprit de contradiction ou pour te vexer ou humilier : c’est uniquement parce que je ne vois aucun moyen de le mettre en pratique avec seulement l’espoir d’y gagner grand’chose. Mais explique donc toi-même comment tu vas faire :
1°) Que deviendront les enfants pendant les 3 mois d’étude ? 
2°) Comptes-tu seulement trouver un emploi à Bordeaux après ton stage ?  Certes, il y aurait très, très peu de chances ! Donc encore les enfants et nos meubles ? 
3°) Supposons qu’en surmontant tous les obstacles tu trouves réellement une place après 4 à 5 mois dans une ville quelconque ; il serait alors logique que la guerre finie je te rejoindrais là-bas pour y chercher à mon tour ? Supposons enfin que réellement tu trouves par miracle une telle place à Bordeaux. Crois-tu que dans un hôtel où les voyageurs arrivent à toute heure du soir voire de la nuit tu ne serais pas forcée de coucher à l’hôtel ? Réfléchis donc sur toutes ces questions et si tu peux me convaincre que ton plan est pratique et réalisable, je m’inclinerai volontiers, car je ne demande pas mieux que de te voir gagner de l’argent. Je t’ai déjà donné longuement mon avis sur la question de la dissolution (2); je répète qu’à mon avis la maison devrait te verser la pension tant que j’ai un actif et le séq. devrait même y tenir la main. Tu peux toujours consulter Me Lanos à ce sujet. Si je ne me trompe pas, Leconte avait bien porté encore 1000 Frs. pour chacun de nous sur les comptes du mois d’Août de sorte que le montant tombant sur ce mois ne doit pas être décompté deux fois comme tu sembles le faire ? De toutes façons il serait naturellement indispensable que Penhoat aille à Nantes en cas de dissolution. Mais il est à considérer que si je participe aux bénéfices et pertes de la maison, mes prélèvements seront à porter à raison d’au moins 400 Frs. à P & P (3) c.à.d. aux Frais Généraux. Si je ne profite pas aux bénéfices je ne le ferai pas non plus aux pertes. L. (4) devrait me créditer aussi de 5% d’intérêts sur mon capital depuis le 1° Janvier 1914 (1° année 1914 donc 1500 Frs.) Et je répète qu’il ne sera pas si facile que cela à L. de justifier des dépenses qu’il n’a pas faites.
Donc, ne te fais pas de mauvais sang pour le moment et reçois mes meilleurs baisers.


                                                      Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "ton plan": Marthe souhaite suivre les cours d'hôtellerie dispensés à Bordeaux par la propriétaire d'un hôtel, afin de pouvoir trouver du travail par la suite. Comme toujours, Paul ne voit pas d'objection de principe à ce que son épouse travaille, mais découvre toujours mille inconvénients pratiques...
2) - "la dissolution" : Marthe serait favorable à la dissolution de la société L. Leconte & Cie, alors que Paul souhaite que l'entreprise demeure en mesure de devoir verser une pension à son épouse.
3) - "à P. & P." : pertes et profits. 
4) - "L. ": Leconte.

mardi 27 septembre 2016

Lettre du 28.09.1916



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Touahar, le 28 Septbr 1916

Ma Chérie,

Je reçois le même jour tes lettres des 18 et 20 courant.
Quelle bêtise que d’aller au-devant des difficultés et des histoires ! Je t’avais déjà dit l’autre jour de ne pas pousser plus loin l’affaire de Mme Robin (1), attendu qu’après la guerre il y aura probablement une loi accordant une diminution de loyer aux mobilisés. Donc, en attendant, nous ne pouvons qu’y gagner. Et tu vas exprès trouver Mme R. pour aller sommer de payer !!! Il en est ainsi avec beaucoup de tes démarches. L’histoire de l’école (2)  par exemple. Quel but pratique vois-tu donc là-dedans ? De payer 300 Frs. pour apprendre des choses qui ne te serviront probablement jamais, vu les enfants que tu ne peux pas abandonner ? Tu constates toi-même avec juste amertume que même des amis et connaissances auxquels tu ne demandes rien, se laissent contaminer par l’antibochisme (3) et tu te figures qu’un patron auquel tu demandes un emploi ne regarde pas à ta nationalité ? Je me suis engagé dans la Légion volontairement, obéissant à mon sentiment, tout en pensant que ma famille serait tranquille ainsi pendant la guerre. S’il est malheureusement vrai que tu as eu des embêtements qu’on aurait pu réellement avoir la délicatesse de t’éviter, il ne reste pas moins vrai que personne ne m’a forcé de venir ici : La préfecture a voulu me délivrer un passeport pour l’Espagne : j’avais la veille de la guerre une vingtaine de mille francs dans une caisse et j’aurais donc tranquillement pu aller vous rejoindre à St Sébastien (4). Je ne l’ai pas fait, et, après plus de 2 ans de guerre, il est logique que je reste à mon poste sans demander d’aller dans un camp de concentration (5) où je serais hors de danger, mais ce qui me ferait violer ma signature apposée sur mon acte d’engagement, comme j’aurais été malhonnête d’aller avec les fonds de la maison en Espagne. Le gouvernement ne m’a point garanti en échange que mes biens seraient respectés et s’il les a séquestrés 4 mois plus tard j’ai, malgré tout, la confiance qu’on me les rendra. Tu ne demanderas donc point au Garde des Sceaux de me faire retirer du régiment, mais si tu en as si gros sur le coeur tu peux lui exposer, si tu veux, notre situation et l’injustice que tu vois dans le fait que L., le seul de nous trois (6) resté chez lui, tâche de frustrer ses 2 associés, tous les 2 sous les drapeaux ! Quant à la procuration qui te permettra d’aller vérifier les comptes avec Mr Penhoat, je te la donnerai promptement le moment venu. Il suffit cependant pour le moment que Mr. P. et le séquestre demandent la remise des comptes exacts de la maison, après quoi on décidera. Penhoat du reste s’y connaît aussi suffisamment.
Mr. Penhoat est du reste presque dans le même cas que nous. Il avait en Août 14 seulement 8000 Frs. environ en caisse, tandis que moi j’en avais retiré 3000. Mais ces 8000 Frs. sont naturellement mangés en 2 ans et la maison Jn. P. (7), si elle peut être continuée plus tard sous le même nom par P. figure bien entendu sur les comptes de L.L. et Cie (8).
Mon ami Sanders de T.P. Thomas & Co Cardiff (9) m’envoie quelques journaux anglais par lesquels je vois que malgré les raids répétés des Zeps (10), on ne juge pas en Angleterre la guerre d’un point de vue aussi passionné qu’en France, mais beaucoup plus froidement. Les Allemands tâchent d’obstruer le canal de Suez ? All right (11)! Après la guerre et pendant 5 ou 10 ans leurs bateaux n’y passeront pas. Ils torpillent nos bateaux ? Well (12) - mais ce qui leur restera de leur flotte de commerce viendra remplacer après la paix notre tonnage perdu. Reste seulement à savoir lequel de nous sera le plus fort. Nous sommes sûrs de notre victoire - tout le reste se règlera tout seul.
Dans un journal anglais illustré, le “Daily Mirror” (13), je trouve bien par ci par là l’expression “The Huns” (14) mais c’est plutôt une exception. L’ami Watson (15), qui était comme capitaine dans l’armée anglaise, ne m’a pas donné de ses nouvelles depuis 2 mois. Serai-il blessé ou tombé ? 
L’idée de Georges au sujet des prisonniers n’est pas banale. Elle prouve incontestablement que le petit bonhomme  commence sérieusement à penser (16). Ne marques-tu pas la taille des enfants à la porte de la cuisine ? Je me figure toujours Suzanne comme ayant le plus grandi et changé. L’expression de sa petite figure sur la dernière photo n’est plus du tout aussi “bébé” - comme j’aurais aimé la revoir !
Le citoyen Abd el Malek (17) commence de nouveau à donner de ses nouvelles et nous promet une campagne d’hiver qui prouvera une fois de plus qu’il faut des soldats et des officiers au Maroc ! J’aurais réellement préféré passer ici encore tout un mois que de grimper les mamelons du côté d’Ain Drop et y patauger dans la boue. Le poste d’ici sera bien mieux fait et aménagé que les autres que j’ai vus jusqu’ici. Tous les bâtiments sont construits en pierre et la Compagnie qui prendra garnison ici n’aura plus grand’chose à faire car le poste sera livré “clefs en mains”.
Comme il faut quand même songer à la campagne d’hiver, je te prie de m’envoyer à l’occasion un de mes caleçons d’hiver et une paire de gants chauds. Mais ne m’envoie pas d’argent - c.à.d. en Octobre - car je n’ai presque rien dépensé ce temps-ci.
Mes meilleures caresses.

Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "Mme Robin" : logeuse des Gusdorf à Caudéran. Marthe s'obstine à vouloir lui payer ponctuellement et intégralement ses loyers alors que Paul voudrait profiter du moratoire qui les retarde de trois mois et du plafonnement consenti en faveur des familles de soldats sous les drapeaux.
2) - "l'école" : Marthe s'est inscrite à des cours d'hôtellerie.
3) - "antibochisme" : ce mot existait à l'époque pour désigner un antigermanisme à la fois populaire (instinctif) et radical (racial). Paul l'emploie pour la première fois pour mieux souligner l'iniquité de sa situation : alors qu'il a fait le choix raisonné de s'engager dans l'armée française, sa famille et lui-même subissent "l'antibochisme" et ses biens sont séquestrés. 
4) - "Saint-Sébastien" : ville balnéaire - alors huppée et très cosmopolite - de la côte basque espagnole où Marthe et les enfants se trouvaient en vacances au moment de la mobilisation générale française du 2 août 1914.
5) - "camp de concentration": camp de regroupement où l'on internait les civils étrangers. Il y eut 60 à 70 de ces centres en France et en Algérie.
6) - "nous trois" : les associés Leconte, Penhoat et Gusdorf.
7) - "maison Jn. P." : Il semble que Jean Penhoat ait constitué à son nom, et avec ses propres fonds, une succursale de la société Leconte. 
8) - "L. L. et Cie" : société Lucien Leconte & Compagnie (dont Penhoat et Paul Gusdorf sont associés) 
9) - "T.P. Thomas & Co. Cardiff" : cette société a déjà été diversement désignée à 4 reprises en 1916 dans le courrier de Paul, les 23 janvier, et 3, 6 et 20 février. Il semble qu'il s'agisse d'une société galloise à la fois partenaire et concurrente de celle de Paul, et que Sanders, l'un de ses employés, soit devenu l'un des amis de Paul. 
10) - "les Zep." : les Zeppelins, ballons dirigeables allemands, bombardèrent Londres et le sud de l'Angleterre à plusieurs reprises en 1914, 1915 et 1916 (ce que l'Histoire retient sous le nom de "First Blitz"), et allèrent jusqu'en Écosse en 1917.
11) - "All Right !" : "Très bien !"
12) - "Well !" : "Hé bien !"
13) - "Daily Mirror" : journal britannique lancé en 1903, devenu en 1904 le premier au monde illustré exclusivement de photographies. Populaire - mais pas populiste - et conservateur, réputé sérieux et bien informé, il est durant la Grande Guerre la première fenêtre des Britanniques sur les opérations de leurs armées.
14) - "The Huns" : Les Huns. Paul réprouve comme passionnelle, donc aveuglée, l'assimilation des Allemands de 1914-18 aux hordes d'Attila au Ve siècle.
15) - "L'ami Watson" : le dernier courrier adressé à Paul par cet ami britannique date de mai 1916 (voir la lettre de Paul du 15). Watson y annonçait son départ pour le front français. Entre temps les Alliés franco-britanniques ont déclenché le 1er juillet la terrible Bataille de la Somme (alors encore active, elle ne s'achèvera qu'en novembre) au cours de laquelle moururent ou disparurent 206 000 Britanniques : Paul a de bonnes raisons de s'inquiéter du sort de son ami.
16) - sérieusement à penser" : ce "petit bonhomme" deviendra le grand philosophe Georges Gusdorf. 
17) - "Abd El Malek" : considéré comme le chef des rebelles marocains, plutôt conservateur que révolutionnaire, Abdelmalek est alors "la bête noire" des Français. Paul le dit "citoyen" par antiphrase. Cet émir, colonel des renseignements puis général ottoman, devenu agent de l'Allemagne pour introduire la "Révolte arabe" au Maghreb au profit de l'Allemagne, reprend l'offensive en bordure sud du Rif neuf mois après avoir de justesse échappé à la Légion en janvier-février 1916. Son camp sera de nouveau détruit en avril 1917 ; sa stratégie d'empêchement de l'unification du Maroc par les Français sera définitivement brisée par Lyautey en juin 1917 ; lui même sera tué par l'Armée française près de Tétouan en août 1924.

18) - "Aïn Drop" : En fait "Aïn Dro". Paul n'est jamais encore allé sur ce site proche de l'oued Hanimou, sur le versant sud du Rif; le Groupe mobile de Taza (dans lequel il est parfois versé) conserve le très mauvais souvenir d'y avoir été attaqué de nuit, en novembre 1915, par les rebelles d'Abdelmalek. 

lundi 26 septembre 2016

Lettre du 26.09.1916



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Touhar, le 26/9 16

Ma Chérie,

J’ai tes lignes du 16 et te confirme mes dernières correspondances des 22 & 23. Comment as-tu pu tenir financièrement pendant la visite (1) qui, nécessairement, a dû entraîner un surcroît assez sensible de dépenses ? Je te retourne ci-inclus les coupures de l’Echo de Paris concernant la vie à Paris qui, s’il est vraisemblablement exact dans le fond, est sans doute exagéré dans ses détails. J’avais précisément ce matin l’occasion de lire dans Paris-Midi (2) un article très intéressant répondant à une brochure de Mr. Camille Saint-Saëns (3), le compositeur bien connu, qui avait prêché le boycottage de l’Allemagne sur le terrain de l’art. On lui répondait dans cet article que s’il voulait être radical, il faudrait abandonner aussi les opéras Faust (4), Mignon (5), Werther (6) etc. qui, bien que de compositeurs français, empruntent un texte allemand et montraient sur la scène des personnages boches pour ainsi dire typiques. On lui rappelait qu’autrefois Saint-Saëns avait montré beaucoup d’admiration pour Wagner et qu’à cette époque Wagner lui avait même servi pour combattre sur les scènes parisiennes et dans les concerts la musique italienne (7) qui se rapproche quelque peu de ses propres compositions. En citant finalement l’Écho de Paris pour montrer qu’à Berlin on jouait Molière et Shakespeare et à Londres Tristan et Isolde (8)!
Inclus également la lettre de Mr. Penhoat en retour. Je t’ai déjà expliqué que pour la question de la pension je diffère totalement de l’opinion de Mr. Penhoat.
La guerre a tout de même pris une allure plus pressée depuis quelque temps. Le communiqué sur l’Écho (9) d’hier annonçait 55 000 (10) prisonniers allemands depuis le 1° Juillet en Occident seulement ! Le seul point obscur en ce moment semble être la Dobroudja (11) où les Russo-Roumains ne doivent pas être dans une bien brillante position. D’un autre côté il peut paraître étrange que dans la Chambre il se trouve juste maintenant un groupe qui veut la Paix à tout prix et même au besoin une paix dite allemande (12)! Que penser de cela ?
Sur le front marocain il n’y a rien de particulier à signaler sauf l’activité habituelle de pelles et pioches. On s’étonne quelquefois qu’il n’y ait pas plus de pertes chez nous et on bénit le manque d’organisation des bicots qui, s’ils étaient bien résolus, pourraient nous rendre l’existence encore autrement dure ! D’après l’état actuel des travaux, il est à présumer que nous avons encore pour tout un mois à faire ici. Pourvu que la pluie ne nous surprenne pas ! Car nous serions frais alors ...
Je pense qu’Hélène est rentrée dimanche et qu’elle n’a pas été trop étonnée de ne pas trouver la soupière à la place où elle l’avait posée. Comme il s’agissait d’un homme alité depuis longtemps, on aurait pu penser que le coup aurait été moins dur pour les parents (13).
Alice a-t-elle repris un peu ses joues rondes et roses ? Elle a naturellement profité le moins de la visite, alors que Suzanne, Yvonne ainsi que Georges et Jeannette (14) devaient s’accorder fort bien !
Notre ancien Capitaine (15), qui avait quitté la Compagnie en Janvier, n’a pas fait long feu sur le front : Il a été tué l’autre jour à l’ennemi ... Il y a eu peu de monde à la Cie qui l’ont beaucoup regretté mais tous sont d’accord pour lui accorder de grandes qualités militaires. Son successeur (16) vient de nous quitter également pour aller - sur sa demande - en France ainsi que notre Lieutenant. Le nouveau (3°) Capitaine (17) y a été dès le début et ensuite à Gallipoli (18) et a été 2 fois blessé ! 
Tu diras un bonjour de ma part à Hélène et lui exprimeras ma sympathie.
Mille baisers pour toi et les enfants.

                                                      Paul 




Notes (François Beautier)
1) - "la visite" : le séjour chez Marthe, du 12 août au début septembre, de Mme Penhoat et de ses deux filles Yvonne et Jeanne.
2) - "Paris-Midi" : seul quotidien paraissant le midi, fondé en 1911, à tendance conservatrice et à dominante culturelle.
3) - "Camille Saint-Saëns" : compositeur français (1835-1921), auteur des célèbres "Carnaval des animaux", "Danse macabre", "Samson et Dalila"...
4) - "Faust" : "La damnation de Faust", musique d'Hector Berlioz, livret de Berlioz et Almire Gandonnière d'après Goethe.
5) - "Mignon" : tragédie lyrique, musique d’Ambroise Thomas, livret de Jules Barbier et Michel Carré d’après Goethe.
6) - "Werther" : opéra, musique de Jules Massenet, livret d'Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann d’après Goethe.
7) - "musique italienne" : à l'époque et seulement pour l'opéra, œuvres de Bellini, Verdi, Poncielli, Catalani, Puccini, Giordano, etc.
8) - "Tristan et Isolde" : opéra allemand, musique de Richard Wagner, livret de Wagner d'après la légende médiévale bretonne - ou brittonique - de Tristan et Iseut).
9) - "l'Écho" : faute de précision il peut s'agir de l'Écho d'Oran ou/et de l'Écho de Paris (Paul lit très régulièrement les deux, qui sont reçus au bureau de sa compagnie à Taza)
10) - "55 000 prisonniers allemands depuis le 1er juillet" : Sous la direction de Nivelle - nommé à la mi-avril 1916 en remplacement de Pétain - les Français font reculer les Allemands à Verdun , de même que Foch et Haig, à la tête des troupes britannico-françaises, font légèrement reculer le front allemand sur la Somme (après un échec effroyable le premier jour de l'offensive alliée le 1er juillet 1916). Les difficultés intérieures de l'Allemagne (notamment alimentaires) poussent beaucoup de soldats allemands à se rendre pour écourter la guerre. La presse française préfère parler des prisonniers (l'Allemagne en détient en août 1916 environ 1,6 million de toutes nationalités, dont à la fin de la guerre près de 500 000 Français. En août 1916 la France seule détient prisonniers environ 150 000 soldats de l'armée allemande, et à la fin de la guerre environ 350 000), plutôt que des soldats des deux camps morts, disparus ou blessés graves (plus d'un million sur la Somme entre le 1er juillet et le 18 novembre 1816 ; plus de 700 000 à Verdun entre le 21 février et le 19 décembre 1916).
11) - "Dobroudja" : région côtière prospère en bordure nord-occidentale de la Mer Noire, entre l'Ukraine au nord et la Bulgarie au sud. Sa partie sud a été annexée par la Roumanie en 1913, au détriment de la Bulgarie qui la reprend par la bataille de Tutrakan du 2 au 7 septembre 1916. Cette victoire de la Bulgarie a été obtenue à la faveur de l'aide massive que lui apporte l'Allemagne - à laquelle elle s'est alliée en septembre 1915 - pour soulager les Austro-Hongrois bousculés par l'entrée en guerre de la Roumanie, le 27 août 1916. Les Roumains les attaquent dans la région de la Transylvanie, administrée par la Hongrie. Les Russes, qui appuient les Roumains et sont victorieux sur tous les fronts de l'est depuis juin 1916, sont cependant arrêtés par les Allemands à la mi-septembre 1916. A la fin de la Grande Guerre, la Dobroudja du sud fut attribuée à la Roumanie. 
12) - "paix dite allemande" : en 1916, le Parlement français s'inquiète d'être tenu à l'écart de l'information et des décisions militaires par le gouvernement et l'État-major (qui craint un risque de contagion des idées pacifistes parmi les Poilus) et recourt à des Comités secrets, imposés par les parlementaires au Président du Conseil Aristide Briand, pour débattre des questions militaires. En août 1916 est mis en place un contrôle parlementaire aux armées que le gouvernement et l'État-major cherchent à réduire à l'impuissance en accusant la Chambre de ralentir leurs décisions et, surtout, de vouloir faire la paix à tout prix, donc d'œuvrer au profit de l'Allemagne (on parle effectivement de "paix allemande" et de "pacifisme défaitiste"). Cependant, les pacifistes convaincus - au premier rang desquels le député socialiste de l'Allier Pierre Brizon - ne représentent qu'une infime minorité des Parlementaires.
13) - "moins dur pour les parents" : tout ce passage parle à mots couverts d'un décès concernant la famille d'Hélène (employée de maison des Gusdorf), sur laquelle le courrier de Paul ne donne guère d'informations. 
14) - "Jeannette" : Paul nomme ici ses trois enfants et les deux filles de Mme Penhoat, qui ont passé près de trois semaines ensemble chez Marthe.
15) - "notre ancien capitaine" : Paul ne l'a ni nommé ni évoqué dans aucun de ses courriers précédents. Faute de disposer d'assez d'éléments d'identification, il est pratiquement impossible de retrouver aujourd'hui de quel capitaine il s'agissait. Par ailleurs il se pourrait que Paul désigne non pas le capitaine de sa compagnie de rattachement permanent mais l'un des capitaines de colonne ou de groupe mobile.
16) - "son successeur" : le renouvellement était si rapide à cette époque qu'il n'est possible d'établir à peu près sûrement que les listes des gradés supérieurs des grands corps d'armée. En ce qui concerne le 1er Régiment Étranger auquel appartenait Paul Gusdorf, les trois chefs de corps d'armée qui se succédèrent à sa tête pendant la Grande Guerre furent le Colonel Jean Boyer (muté en Belgique en novembre 1914), le Colonel Mathias Tahon (muté en Champagne en avril 1915), le Lieutenant-Colonel Charles Met (blessé au combat au Maroc et amputé d'une jambe en juin 1914, nommé dans l'Aisne en octobre 1916), le Lieutenant-Colonel Jacques Heliot (précédemment blessé en mars 1916 en Champagne), le Lieutenant-Colonel Pierre Forey (qui avait combattu aux Dardanelles en 1915).
17) - "le nouveau capitaine" : il est très étonnant que Paul ne nomme pas ses trois chefs directs successifs, alors qu'il écrit en toutes lettres les noms des villages et villes où il stationne. C'est tout le contraire de ce que font les Poilus en Europe : pour échapper à la censure ils désignent les lieux par des initiales mais ils écrivent en toutes lettres les noms de leurs chefs. Peut-être s'efforçaient-ils plus de les connaître que Paul ne s'intéressait aux siens ? Ou alors, Paul prenait-il à la lettre le dicton des armées "nul homme n'est irremplaçable" pour se dispenser de nommer ses supérieurs ? Ou enfin, était-il à ce point conscient de sa supériorité intellectuelle et culturelle qu'il ne voyait en eux aucune raison de les distinguer en les nommant ? 

18) - "Gallipoli" : péninsule turque de la rive nord du détroit des Dardanelles où les Franco-Britanniques s'acharnèrent vainement à débarquer en 1915, au prix de plus de 60 000 morts et disparus (et autant pour les troupes ottomanes). 

dimanche 25 septembre 2016

Carte postale du 26.09.1916



Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Col de Touahar, le 26 Septbre 1916

Ma Chérie,

Dès réception de ta lettre sans date (timbre du 13) avec les lignes de Penhoat, j’ai envoyé un mot à ce dernier pour qu’il somme L. simplement de lui fournir les comptes arrêtés soit le 1° Janvier 16  soit le 1° Octobre. Après vérification des comptes ou en cas de refus de L. on peut toujours envoyer la 2° sommation, comme prévu. C’est là un moyen ferme et qui nous permettrait en même temps de voir où nous en sommes. Je pense que tu ne te plaindras pas de ma correspondance cette fois-ci, mais je suis aussi à bout de cartes maintenant.
Bien à toi.

Paul


mercredi 21 septembre 2016

Lettre du 22.09.1916




Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Col de Touahar, le 22/9 16

Ma Chérie,

Voici une journée presque de repos pour moi : Je suis à la corvée d’eau aujourd’hui, c.à.d. j’ai à remplir à la source les sacs d’eau qu’un mulet emporte ensuite au camp. Cela me fait à peu près 1 à 1 1/2 heures de travail réel dans la journée et me permet de me laver comme il faut et de laver en outre mes effets. Je suis assis ici en plein bled, écrivant sur mon bidon qui se trouve sur mes genoux. Il fait, comme toujours depuis que nous sommes ici, un temps superbe et même le sirocco s’est calmé. Les bicots soumis (1) passent par ici pour vendre leur marchandise au souk (marché) à côté du nouveau camp. Je viens de faire emplette de 13 superbes oeufs pour 20 sous et d’un panier de raisin contenant de 2 1/2 à 3 kgs de raisin pour 10 sous. En échange d’une cigarette, un vieux Tsoul m’a donné une poignée de figues fraîches “mler, mler” (belles) (2) qui sont délicieuses, rafraîchies dans l’eau. Les raisins sont très bon marché parce que les Beni Kra Kra (3) (tribu soumise en janvier dernier) en plantent beaucoup. Nous y étions encore en Juillet, mais heureusement pour les Kra Kra (et pour nous) les raisins n’étaient pas mûrs à cette époque là. Les montagnes bleues et violettes en face plantées par ci par là d’oliviers  et parsemées de petits villages semblent si paisibles, les cigognes se promènent si près de moi et les figues et raisins sont si bons qu’on pourrait se croire dans un coin heureux si le canon du camp, celui de Bab Mersouka et celui de Koudiac (4) ne tonnaient pas à chaque instant. On voit alors un petit nuage blanc à l’endroit où l’obus éclate et, à l’aide de jumelles, souvent des hommes et des troupeaux fuyant vers le lointain. Des douzaines de cagnas ont été détruites et le grand village des Benim Garas complètement mis en ruine. 
Comme nous devons complètement terminer le poste pour que les hommes restant soient de suite bien logés, nous (les 6 Compagnies) (5) avons à faire jusqu’au 5 ou 10 Octobre au moins. Enfin, en attendant, nous ne faisons toujours pas de colonne ...
D’après ta lettre du 10 courant je comprends que la famille Penhoat est partie le 11. Tu vois une fois de plus que les espoirs que tu avais fondés sur cette visite se sont plutôt changés en ennuis. Je le regrette d’autant plus que j’avais, moi aussi, escompté une influence heureuse de cette visite sur ton pessimisme et ton délaissement.
Si tu vas au bureau, tu pourras y prendre, en dehors de mes lettres et copies de lettres personnelles, l’éléphant en ébène qui se trouve sur la bibliothèque ainsi que l’Histoire Naturelle (en allemand) qui est dedans. Je ne vois cependant pas beaucoup l’utilité, car si L. a fait ouvrir ce secrétaire il en connaît déjà le contenu et ce sera assez tôt que je le reprenne après mon retour.
Quant à ta pension (6), je te disais déjà sur ma dernière carte que c’est au séq. de porter soin à ce qu’elle te parvienne, faute de quoi tu serais à la charge de l’Etat et tu aurais même droit au paiement par la Mairie de 1 fr 25 par jour pour toi plus 50 cs pour chaque enfant contre production de mon certificat de présence au corps. Je connais nombre d’Allemands dont la femme et même la maîtresse touche cette allocation parce qu’eux sont à la Légion et cela depuis le début de la guerre, la famille n’ayant pas suffisamment de moyens d’existence. Je ne crois donc pas que Me Palvadeau (7) puisse refuser de s’occuper de cette affaire, car l’Etat devrait te payer alors pour depuis le début de la guerre près de 2000 Frs.
Penhoat étant Caporal Fourrier (8) et comme tel assimilé aux Sous-Offs vit naturellement bien plus cher que moi, sans toucher pour cela bien plus.
Embrasse bien les enfants pour moi et reçois mes meilleurs baisers.

                                                         Paul

Un bonjour à Hélène.

Ne peux-tu t’habituer à faire le T majuscule comme ceci : T, on corrige toujours ton T (9) sur les lettres.




Notes (François Beautier)
1) - "bicots soumis" : il s'agit précisément de Marocains de la tribu des Tsoul, pacifiés de force en 1914 et en juillet 1916 (par la compagnie de Paul), qui depuis lors suivent les soldats français à la fois pour les approvisionner en aliments frais et pour razzier les villages rebelles dont l'armée prend le contrôle. Cependant l'essentiel de la tribu des Tsoul demeure dissidente (rebelle).
2) - "mler" : ce mot écrit phonétiquement conduit soit à l'idée de "dernières" (cueillies, donc les plus fraîches), soit à une allusion salace au sexe féminin (possible dans ces milieux exclusivement masculins).
3) - "Beni Kra Kra" : officiellement Beni Krakra, tribu berbère qui a conservé malgré l'islamisation des mœurs antérieurs, dont la viticulture (cependant de plus en plus résumée à la production de raisin de table). Cette tribu supposée pacifiée de force en janvier 1916 a de nouveau mobilisé contre elle la Légion en mai puis en juillet (Paul participa à ces trois colonnes contre eux). 
4) - "Koudiac" : en fait "Koudiat el Biad", poste de la Légion servant avec celui de Bab Merzouka à contrôler la vallée de l'oued Innaouen (passage obligé de la route et de la voie ferrée, et aussi du téléphone entre Fès et Taza). Pendant tout l'été et l'automne 1916 ces postes servirent de point de départ et d'appui à des expéditions de pacification forcée contre la rébellion des Rhiatas et de leurs alliés (tribus et clans Beni Krakra, Beni Ouaraïn, Beni M'Gara, Beni M'Tir...) soutenue par l'Allemagne.
5) - "les 6 compagnies" : par manque d'effectifs, les groupes mobiles (ou "colonnes") sont composés d'éléments prélevés sur des régiments différents. D'après ce qu'écrit Paul, les constructeurs du campement militaire de Touahar étaient ainsi issus de 6 compagnies différentes. Cependant c'est bien la Légion de Taza qui menait les opérations (de même pour la construction de la voie ferrée).
6) - "ta pension" : Marthe doit recevoir de Nantes (voir la carte postale du 20/9/1916) la part des bénéfices de la société L. Leconte & Cie qui revient à Paul. Sinon, Marthe et ses enfants seraient considérés comme ne disposant pas de ressources suffisantes et toucheraient, comme toutes les familles dans ce cas de soldats au front, une allocation dont Paul précise plus loin le montant.
7) - "Me Palvadeau" : l'un des avocats de Paul.
8) - "Caporal Fourrier" : par ces majuscules grandiloquentes Paul se moque du grade très modeste (caporal) et de la fonction peu glorieuse (fourrier, c'est-à-dire magasinier d'intendance, originellement distributeur de fourrage) de son ami Penhoat, cependant mieux loti que lui du simple fait de son grade. 
9) -"ton T" : Marthe calligraphie vraisemblablement le T de Taza (ou de Touahar) en majuscule gothique allemande (ce qui le fait ressembler à un C en cursive romaine) , au grand agacement de Paul qui souhaiterait sans doute passer inaperçu pour accroître ses chances d'obtenir sa naturalisation.

lundi 19 septembre 2016

Carte postale du 20.09.1916




Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Touahar, le 20/9 16

Ma Chérie,

Je viens de recevoir ta lettre du 10 courant et suis réellement soulagé d’apprendre que la petite est complètement rétablie. Ici nous sommes même vaccinés avec un vaccin “paratyphoïdique” (1). Mais ne te fais donc pas de mauvais sang au sujet de l’envoi de Nantes (2). S’il ne le fait pas, tu écriras de suite à Me Palvadeau et Bonamy (3). Nous ne rentrerons pas à Taza avant le commencement du mois prochain.
1000 tendresses pour toi et les enfants.

Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "vaccin paratyphoïde" : ce vaccin, inventé en 1896 en Angleterre et développé en France à partir de 1909 avait été rendu obligatoire par la loi du 28 mars 1914. Paul parle dans plusieurs lettres des nombreux rappels de ce vaccin que reçoivent les légionnaires. Sur la vaccination dans l'armée française pendant la guerre, voir http://www.cairn.info/revue-corps-dilecta-2008-2-page-41.htm
2) - "l'envoi de Nantes" : vraisemblablement un envoi d'argent non encore reçu par Marthe, adressé par L. Leconte au titre de la part des bénéfices de Paul dans la société L. Leconte & Cie.
3) - "Me Palvadeau et Bonamy" : les avocats de Paul dans ses demandes de levée du séquestre et de versement de ses parts de bénéfices.

vendredi 16 septembre 2016

Lettre du 17.09.1916

Portrait de Mme de Thèbes



Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Au col de Touahar, le 17-9-16

Ma Chérie,

J’ai ta lettre du 7 courant, et comme, par un hasard miraculeux, nous sommes de repos aujourd’hui, dimanche, je vais pouvoir te répondre sans trop de retard. Ce qui importerait en effet beaucoup en ce moment, ce serait de connaître aussi exactement que possible l’état de nos finances dans la maison L. L. (1) et Cie, tout en sachant combien L. a porté sur le fameux compte d’assurance pour loyers et patentes à payer après la guerre, notamment à Anvers et Gand (2). Je viens donc d’écrire dans ce sens à Mr. Penhoat qui venait de m’écrire précisément à ce sujet. Je lui ai recommandé de remettre son affaire à Me Bonamy qui, étant ainsi l’avoué de nous deux, sera un tout petit peu plus empressé de nous tenir au courant, bien que je n’escompte pas la levée du séq. avant la fin de la guerre. 
Pour ce qui est de l’avenir, je n’ai point d’idée bien arrêtée. Nous demandons la dissolution seulement pour le cas où il y aurait perte de 1/4 du capital, comme je l’ai dit dans la lettre. Je ne crois toujours pas que L. en voyant que j’obtiendrai la naturalisation consente à se séparer de nous, de crainte que nous lui fassions la concurrence.
Qu’est-ce que Mme Penhoat a donc de si intéressant à faire avec Mme Malaret ; et M. (3) n’a-t-il rien raconté de l’état actuel des affaires du bureau de Bordeaux ? Ou de celles de Mr. Siret ?
D’après le dernier cri de guerre (4), nous resterions ici jusqu’en Octobre ce qui aurait au moins ceci de bon que nous ne marcherions pas en colonne. Mais la tiraillerie ne s’arrête pas non plus et il y a eu déjà plusieurs affaires assez sérieuses ici. Et le cimetière de Touahar s’agrandit ... Les bicots (5) s’ingénient à détruire les lavabos, abreuvoirs et sources aménagés par nous à quelques centaines de mètres du camp dans un ravin et le matin en descendant, nos hommes ont eu à recommencer le travail de la veille. Maintenant le Commandant fait tous les soirs braquer deux mitrailleuses sur ce ravin et à chaque instant de la nuit cela crache - ce qui n’est pas précisément fait pour laisser dormir les poilus. Enfin, on s’y habitue avec le temps et les bicots s’abstiennent de nous embêter là-bas.
Sur le front cela a l’air de marcher et je reste toujours persuadé qu’on en finira cette année. Te rappelles-tu la petite histoire qu’on racontait déjà lorsque nous étions à l’école ? Lors de la révolution de 1848 Guillaume I, régnant alors à la place de Frédéric-Guillaume IV comme prince régent, devait se réfugier en Angleterre où il vivait à Londres sous le nom de Muller en 1848/49 (6). Il y consultait une bonne femme, genre Mme de Thèbes (7), sur son avenir. Celle-ci lui prédisait qu’il serait empereur en alignant les chiffres de l’année comme suit :
            1849                            1871
                   1                                   1
                   8                                  8
                   4                                  7
                   9                                  1
Empereur en 1871     Mort en 1888
Elle ajoutait que comme il y avait 3 fois le chiffre 8 dans le 1888, il y aurait 3 empereurs de la dynastie des Hohenzollern et se servant de nouveau de ce chiffre 3 et de 1888, elle prédisait la fin de la dynastie de la façon suivante : 1888
           1
   8
   8
   8
     1916
Il ne peut donc pas faire le moindre doute que la maison Hohenzollern finira en 1916 (8)
Qu’il en soit ainsi !
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.

Paul



Notes (François Beautier)
1) - "L.L" : Lucien Leconte, dont Paul est l'un des deux associés. 
2) - "Anvers et Gand" : ports où la maison Leconte possède des bureaux, des succursales ou des parts de sociétés de courtage maritime.
3) - M., Malaret : ancien employé de Paul au bureau de Bordeaux, de même que Mr. Siret, qui est aussi le neveu d'Hélène, l'employée de Marthe.
4) - "cri de guerre" : la rumeur circulant dans le régiment.
5) - "les bicots" : il s'agit précisément de rebelles de la tribu des Rhiatas. La redoute de Touahar où stationne le groupe de Paul domine le col et le village indigène de Touahar, ainsi que l'oued Innaouen qui coule beaucoup plus bas. 
6) - Le prince Guillaume (frère cadet de Frédéric-Guillaume IV) fut temporairement chassé du pouvoir et d'Allemagne par la Révolution libérale de 1848. 
7) - Madame de Thèbes, de son vrai nom Anne-Victorine Savigny (1845-1916) était une célèbre voyante et chiromancienne française. Elle passe pour avoir été consultée par Marcel Proust, qui parle d'elle dans La Recherche. 

8) - la maison de Hohenzollern finira en 1916" : tout l'exercice de numérologie qui précède sert à "fonder" cette prédiction dont Paul souhaite "qu'il en soit ainsi". Cependant la Maison de Hohenzollern ne s'est éteinte ni en 1916, selon ce calcul, ni en 1918 avec l'abdication de Guillaume II empereur d'Allemagne et roi de Prusse puisqu'il existe toujours des descendants qui prétendent à ces titres. Quant à Guillaume, il ne "sort pas de" la révolution libérale de 1848 puisqu'il devient prince-régent de Prusse en 1858 lorsque son frère aîné Frédéric-Guillaume IV, atteint d'une congestion cérébrale, devient incapable de régner. Cependant, la révolution de mars 1848 l'a chassé de Berlin alors qu'il était gouverneur de Poméranie et chef de plusieurs régiments militaires. Surnommé "Prince la mitraille" après qu'il ait fait tirer sur les manifestants, il vit son château incendié et dût se réfugier quelques temps en Angleterre (l'emploi d'un faux nom n'est guère crédible que pour rendre visite à une diseuse de bonne aventure puisque Guillaume de Hohenzollern était officiellement accueilli par la branche saxonne de sa famille en tant que petit-fils de la Reine Victoria alors au pouvoir), ce qui "justifie" la date de 1849. Il devint effectivement empereur d'Allemagne en 1871 et mourut en 1888...