lundi 27 juin 2016

Carte postale du 28.06.2016


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Bivouac de Arba de Tahla (1)
le 28/6 16

Chérie,

Je viens de recevoir tes lettres des 15, 16 & 18 courant et te confirme mes dernières 2 lettres. Je me porte toujours bien malgré une chaleur épouvantable. Nous restons ici jusqu’au 2 et descendons ensuite vers Coudiac (2); espérons que nous rentrerons à Taza pour le 14 Juillet. En ce qui concerne By (3) tu lui demanderas simplement sa note sur laquelle il devra tenir des 200 frs versés pour mon compte par L. Il me semble certain que ce montant couvrira bien les frais de sa facture. 
Meilleurs baisers pour toi et les enfants.

Paul

30/6 Impossible de faire partir cette carte avant ce jour où je suis en convoi au Poste de Mat Matta (4) (5).



Notes (François Beautier)
1) - "Arba de Tahla" : en fait Arba de Tahala, bivouac en bordure occidentale du Djebel Tazzeka, un peu au sud de la vallée de l'Innaouen, en face de l'actuel lac de barrage Idriss 1er et de la ville de Sidi Abdallah des Rhiata.
2) - "Coudiac" : en fait Koudiat el Biad, poste militaire des 3ème et 6ème bataillons du 2ème Régiment étranger de la Légion, établi en mai 1914 comme poste provisoire par le général Gouraud pour protéger le passage entre Taza et Fès le long de l’oued Innaouen, situé un peu au sud de cet oued à l'aval du débouché de l'oued Amelil (actuel Amlil). Le général Baumgarten a fortifié ce poste en juin 1914 pour tenir les Rhiatas et les Beni Ouaraïn en respect. 
3) - "By." : Maître Bonamy, cette fois répudié par Marthe (donc déchu de son titre de "Maître" par Paul)
4) - "Mat Matta" : en fait Matmata, le poste le plus proche sur la vallée de l'Innaouen.
5) - Extrait de l'Historique Sommaire de la 2° batterie du 10° groupe d'Artillerie de Campagne d'Afrique:
Opérations de la 2ème Batterie contre les Beni Ouarrain (1916)
La 2ème Batterie prend part aux opérations du Groupe Mobile contre les Beni Ouarrain. Le 16 juin dans la région d’El Menzel, le Maréchal-des-logis GUGLIEMO est tué en assurant le ravitaillement de la batterie. La 2ème Section rentre à Fez après une série d’engagements peu importants.
Pendant ce temps, la 1ère Section occupe successivement les postes de Matmata et de Bou Knadel ; elle y reste jusqu’en septembre. http://tableaudhonneur.free.fr/10eGACA.pdf)


jeudi 23 juin 2016

Lettre du 24.06.1916

Types de tirailleurs, 1917



Madame Paul Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Dans le bled, le 24 Juin 1916

Ma chère petite femme,

Nous sommes rentrés aujourd’hui de bonne heure au camp et je vais profiter de l’après-midi libre pour m’entretenir avec toi. Il y aura demain un convoi de ravitaillement qui pourra emporter cette lettre. Tes lignes des 9 & 11 me sont bien parvenues et j’espère que ma dernière lettre arrivera à temps pour la fête de Suzanne. 
En ce qui concerne l’affaire By (1) tu connais mon opinion : je te laisse carte blanche pour arranger l’affaire comme tu l’entends, et s’il fallait que j’écrive moi-même une lettre recommandée à Nantes pour annuler notre mandat, tu voudras bien me rappeler l’adresse exacte de l’avocat. A mon avis il importe de faire ressortir sobrement et sans emportement que si malgré ma situation spéciale on peut maintenir le séq., on doit tout au moins me laisser le bénéfice des dispositions de mon contrat. Or celui-ci prévoit Frs 400,- quel que soit le résultat de l’exercice ; avec 400,- tu t’arrangeras ; le reste - loyer etc. ne regarde personne. L’avocat doit en outre te faire connaître le texte des deux jugements comme il est d’usage, ces textes du reste sont conservés au greffe du tribunal qui a rendu le jugement et peuvent, je crois, y être copiés par tout le monde et notamment les avocats. Mr. Wool. (2) qui a beaucoup d’expérience dans ce genre d’affaires, pourra te renseigner exactement là-dessus, comme aussi Me Lanos (3). Comme il s’agit seulement de la durée de la guerre, et qu’on veut payer jusqu’à Novembre, somme qui couvre le loyer jusqu’à Février, tout le monde comprendra que c’est ridicule et je ne peux croire que le tribunal se mêle de cette question.
Nous guerroyons depuis quinze jours sur le terrain des Beni Ouarein (4). Ces Messieurs ne montrent cependant pas beaucoup d’empressement pour se soumettre, malgré de sérieuses représailles que nous exerçons. Car les Beni Ouarein avaient attaqué et pillé des tribus voisines soumises ... Que de maisons brûlées, que de champs saccagés ! Les 16 et 17 Juin (5) nous avons eu quelques engagements sérieux et ce matin encore cela canardait assez dur. Le Général Lyautey vient même de nous télégraphier ses félicitations pour l’énergique conduite des opérations pendant cette saison de grandes chaleurs ! Il y a eu des médailles militaires, des croix de guerre et des croix ... de bois. Ce sont surtout les Sénégalais et les Tirailleurs (Turcos) (6) qui ont supporté la casse jusqu’ici ! Il n’est plus question pour le moment de construire un poste ; il paraît qu’on veut seulement étudier le tracé du nouveau chemin de fer Taza-Fez et nous espérons rentrer à Taza vers le 14 Juillet au plus tard. Mon camarade de lit le fumiste est depuis 3 mois à l’hôpital de Guercif ; Savario de Caudéran doit rentrer incessamment de celui de M’Conn (7). Notre escouade, qui compte un caporal et 14 hommes, en a 7 à l’hôpital, la plupart malades ; l’un cependant a eu une balle dans la poitrine (le 2° depuis Août 14) (8). Je me porte bien jusqu’ici et n’ai eu encore aucun accès de fièvre ni de dysenterie. Il est vrai que je dépense tout mon argent pour bien manger, ce qui, je crois, donne plus de résistance au corps. Je fume aussi toujours beaucoup le tabac, les cigares & les cigarettes étant sensiblement meilleur marché qu’en France. 
En ce qui concerne la bataille navale du Jutland, tu auras rectifié probablement ton opinion. En additionnant les pertes que les Allemands “pour des raisons militaires” comme ils disent avaient cachées et celles qu’ils n’avouent pas encore, les pertes allemandes sont plus lourdes que celles de l’Angleterre et si l’on les rapporte aux forces navales en présence, la comparaison devient tout à fait mauvaise pour l’Allemagne (9). L’appui du Chancelier sur les socialistes est certes intéressant à noter et constitue peut-être une évolution sérieuse (10). Mais les pronostics ont été si souvent renversés pendant cette guerre qu’il est ingrat d’en émettre.
Inclus le conte de l’Humanité en retour ; je n’y trouve rien de bien épatant là-dedans et trouve même que le thème aurait pu être mieux produit. Ton travail anglais montre beaucoup de progrès et je ne puis que t’en féliciter. Dans la poésie par contre il me manque quelque chose : je crois que - tout comme moi - tu ne maîtrises plus la langue allemande comme autrefois dans toutes ses expressions. Tu ne m’en voudras certes pas de ma franchise ?
Et le temps passe malgré tout ! Mon excursion à Bergerac date déjà de 1913, celle à Périgueux de 1914. Serai-je de retour seulement pour la fin de 1916 ? Nos enfants auront tout de même rudement grandi tous les 3. Et si je pense que mes souvenirs d’enfance remontent assez clairement jusqu’à l’âge de 6 ans, je me sens vraiment vieux ! 
Reçois, toi et les enfants, mes plus tendres baisers.
                    
                                                  Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "affaire By." : affaire de Maître Bonamy, chargé de défendre les intérêts des Gusdorf dont les biens ont été mis sous séquestre, et à qui Marthe reproche de ne rien faire. 
2) - "Mr. Wool." : Mr. Wooloughan, ami américain de Paul.
3) - Me Lanos: avocat bordelais que Marthe a contacté pour s'occuper de ses affaires.
4) - "Beni Ouarein" : Paul n'avait rien dit à son épouse de cette bataille contre les Beni Ouaraïn dissidents rebelles qui dure depuis plus d'une semaine (mais il l'avait évoquée à sa fille, le 19 juin). Il décrit la tactique des nationalistes consistant à s'en prendre aux "pacifiés" pour qu'ils s'agitent, mobilisent des Français et finalement se rebellent à leur tour. Mais il évite de dire qu'il participe activement aux combats menés contre eux depuis le 15 juin 1916.
5) - "16 et 17 juin" : ces deux journées de combats contre les Beni Ouaraïn dissidents sont considérées comme mémorables par d'autres détachements que celui de Paul (dont le livret militaire atteste qu'il y a participé), notamment le 21ème bataillon de Tirailleurs sénégalais, dont l'Historique rapporte des scènes de combat au corps à corps et une issue favorable obtenue à la baïonnette.
6) - "les Turcos" : Paul parle des tirailleurs algériens (dits "Turcos") des régiments coloniaux d'Afrique. D'autres régiments de tirailleurs étaient composés de soldats d'Afrique noire (dit "Sénégalais" puisque le Sénégal en était la principale source). L'Historique du 21ème bataillon de Tirailleurs sénégalais rapporte que ses hommes déplorèrent 3 tués et 7 blessés (tous Sénégalais) à l'issue des combats.
7) - "M'Conn" : Msoun, poste de la Légion immédiatement à l'est de Taza.
8) - "le 2° depuis Août 1914" : Paul veut sans doute dire que ce blessé par balle est le second qu'il ait eu à connaître personnellement depuis son engagement dans la Légion. Pour ne pas effrayer Marthe il ne dit rien des tués, certes bien moins nombreux que sur les fronts européens, mais assez fréquemment signalés par les différents bataillons participant aux colonnes du Groupe mobile de Taza.
9) - "mauvaise pour l'Allemagne" : Paul s'empêtre dans les calculs douteux de la presse, alors que l'argument décisif est que les Britanniques ont maintenu le blocus que l'Allemagne voulait briser en Mer du Nord.

10) - "évolution sérieuse" : Paul fait allusion à la position du PSD qui ménage le chancelier Bethmann Hollweg, alors en difficulté face à l'opposition nationaliste, impérialiste et conservatrice qui verrait volontiers le Prince Bernhard von Bulow (qui fut chancelier de 1900 à 1909) revenir au pouvoir. Mais Paul présente la chose comme si Bethmann Hollweg - toujours aussi méprisant face aux socialistes - s'appuyait sur le PSD...

samedi 18 juin 2016

Lettre du 19.06.1916

En colonne


Madame Paul Gusdorf
pour Melle Suzanne Gusdorf
22 rue du Chalet 22  Caudéran

En campagne, le 19 Juin 1916

Ma chère petite Suzette,

J’ai reçu ce matin ta lettre du 8 courant qui m’a fait un grand plaisir. Car elle me montre non seulement que vous allez tous bien, mais aussi que tu fais des progrès dans la correspondance, notamment dans l’orthographe. Il y a naturellement encore des fautes dans ta lettre, mais comme tu es encore bien petite, tu auras le temps d’apprendre et de faire mieux.
Voilà bientôt le 1° Juillet, jour où tu auras 7 ans (1). Comme je suis actuellement loin de Taza et de toute ville, et que par conséquent ma lettre mettra beaucoup de temps pour aller jusqu’à Caudéran, je t’envoie déjà aujourd’hui mes meilleurs voeux pour ton anniversaire. J’espère surtout que ce sera enfin la dernière fois que tu passeras ce jour loin de moi et que l’année prochaine je pourrai te réveiller le 1° Juillet dans ton petit lit blanc avec un gros baiser. Lorsque je reviendrai à Taza, je t’enverrai quelque chose qui te fera bien plaisir, mais je ne dis pas encore ce que c’est. Car ici on  ne peut rien acheter, sauf quelques conserves et du tabac de toutes sortes. Tu rirais même bien en nous voyant camper dans le bled. Nous couchons par 6 hommes sous une petite tente qu’on appelle une guignole (2) parce qu’en mettant la tête dehors on a l’air de Guignol (3). Tout autour de nous, il y a de grandes montagnes, en bas un ruisseau serpente qui nous fournit l’eau pour faire la cuisine et sert d’abreuvoir aux chevaux et mulets. Il est bordé de lauriers-roses en fleur, de champs d’orge et de blé et enfin de petites forêts d’oliviers et d’orangers. De grands oiseaux planent au-dessus de nous et souvent on entend pendant la nuit une bête sauvage qui rôde autour du camp. Dans la journée c’est le canon qui tonne (4) et le fusil qui crépite. On se lève le matin de très bonne heure et on se couche le soir avec les poules sur la paille qu’on ramasse dans les champs. Au réveil nous recevons un quart de café (que nous appelons du jus) et nous y trempons un morceau de pain. Si nous marchons dans la journée - et cela est presque toujours le cas - nous mettons dans la musette une boule de pain, un morceau de viande cuite ou rôtie, une boîte de sardines ou de thon et quelquefois un peu de chocolat qu’on mange en route. Le soir en arrivant à l’étape et après avoir construit la tranchée autour du camp, on nous fait une soupe, de la viande, du riz ou des nouilles ou des haricots, un quart de vin et un quart de café.
De notre camp actuel nous voyons au fond une grande montagne au pied de laquelle se trouve la ville de Fez (5) qui est, avec Rabat (6), la capitale du Maroc. Si nous y allons, je t’enverrai une jolie carte postale.
Je te dis maintenant adieu, ma chère petite Suzanne, en te priant de donner pour moi 3 gros baisers à Maman et 2 à Georges et Alice ainsi qu’un bonjour à Hélène.
Mes meilleurs baisers.

                                                Papa

Je ne sais pas si j’ai accusé réception du livre espagnol dont je te remercie beaucoup.


                                                 Paul


Notes (François Beautier)
1) - "7 ans" : Suzanne est née le 1 juillet 1909.
2) - "guignole" : le modèle courant est mono ou biplace. Celui dont parle Paul serait plus grand avec ses 6 places. Il se peut qu'il s'agisse en fait d'un marabout (tente hexagonale à pilier central).
3) - "Guignol" : étymologie indiquée par Paul pour faire rire sa fille, que l'on trouve dans d'autres documents. Il se peut que "guignole" soit un avatar de "guitoune", qui désigne en argot militaire colonial une petite tente dont le nom en arabe maghrébin "gitun" serait l'origine.
4) - "le canon qui tonne" : malgré les revers de leur chef de guerre Abdelmalek, les derniers rebelles des tribus locales (au nord et au sud de l'oued Innaouen) des Rhiatas et des Beni Ouaraïn tentent tout autant d'empêcher le contrôle du "couloir de Taza" par les Français que d'éviter la rupture des relations nord-sud entre le Moyen Atlas et le Rif. Paul participe, du 17 au 25 juin 1916, à une série de coups contre les Beni Ouaraïn (son livret militaire en porte la mention) mais il ne dit pas à son épouse qu'il est alors en situation de combat.
5) - "Fez" : au débouché des gorges de l'oued Sebou qui dévale du Moyen Atlas vers le Maroc occidental, Fès est la capitale historique du Maroc. Elle fut le 30 mars 1912 le site de la signature du traité établissant le protectorat de la France sur le pays. En réaction immédiate, de nombreux habitants se révoltèrent, ce qui conduisit le général Lyautey à déplacer la capitale administrative à Rabat et à installer une forte garnison militaire française à Fès. Depuis lors , la ville est demeurée la capitale culturelle et religieuse du Royaume.
6) - "Rabat" : résidence de Lyautey ("résident général du protectorat du Maroc") à la suite de la rébellion de Fès en avril 1912. La ville est restée capitale administrative du Maroc après la fin du protectorat en 1956.

vendredi 17 juin 2016

Carte postale du 18.06.1916

Gare dans le bled (Delcampe)


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéeran

En campagne, le 18 Juin 1916

Chérie,

Je viens de recevoir ta lettre du 6 courant avec les annexes. Comme je te disais déjà, il vaut mieux qu’un seul s’occupe de l’affaire By (1) et comme tu l’as commencée, finis la donc comme tu l’entends. Du reste, nous aurons encore longtemps à faire ici pour dégager la vallée de l’Inaouen (2) en vue probablement de la construction du chemin de fer Taza-Fez et tu peux te figurer facilement que je n’ai point le loisir ici sous ma guignols (3) de faire une correspondance de ce genre-là avec By. Tout va bien sans cela !
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.

                                                 Paul

P.S. Tu peux du reste consulter Me Lanos en cas de besoin.



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - By: Maître Bonamy
2) - "Inaouen" : première occurrence de ce nom sous la plume de Paul. Cet oued Innaouen (graphie actuelle) suit le "Couloir de Taza". La voie ferrée Fès - Taza, en cours de chantier (sous la protection du Groupe mobile auquel participe Paul), en longe la vallée.
3) - "guignole" : petite tente militaire de campagne. Elle est appelée ainsi par analogie avec le rideau de scène du Guignol lyonnais.



mercredi 15 juin 2016

Carte postale du 16.06.1916

Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran
Wikipedia

Dans le bled le 16 Juin 1916

Chérie, 

Je te confirme ma carte du 13 ou 14. Nous sommes ici dans l’Occidental sur le terrain de la plus forte tribu du Maroc (1) et je crois que nous allons construire un poste par ici. Hier nous étions au poste de Mat Matta (2) et demain nous allons probablement faire jonction avec la colonne de Fez. Tout va bien, mais il fait une chaleur fantastique.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.

                                                   Paul



Notes (François Beautier)
1) - "tribu du Maroc" : il s'agit des Zayanes (on écrivait "Zaïan" ou "Zaïane" à l'époque), une tribu (ou ethnie, ou confédération selon certains auteurs) berbère dominante dans le secteur du Moyen Atlas. Lyautey la considère comme son ennemi le plus puissant et essaie de la déconnecter de la région de Khénifra (sa capitale à l'entrée sud du Moyen Atlas) afin de la priver de ses liens avec les tribus voisines féales ou alliées et de l'empêcher d'établir des relations avec les tribus rebelles du nord, notamment du Rif. Des combats ont d'ailleurs eu lieu sur le versant sud du Rif, au nord de Taza, au lieu dit Bou Ifkrane contre la tribu des Ait Tserrouchen alliée aux Zayanes. Paul a participé ce jour même du 16 juin à ces combats (son livret militaire en porte la mention) mais il n'en dit absolument rien à son épouse. Après la pacification du "couloir de Taza" à l'issue d'un premier semestre de combats en 1916, Lyautey s'attaqua aux Zayanes en les prenant en tenailles à partir de Meknès au nord et de Marrakech au sud.
2) - "Mat Matta" : officiellement Matmata, station ferroviaire alors en chantier et poste de contrôle de la vallée de l’Innaouen entre Taza et Fès (exactement à la moitié de la distance en ligne droite) à la pointe amont de l'actuel lac de barrage Idriss 1er. 

dimanche 12 juin 2016

Carte postale du 13.06.1916

Fusilier mitrailleur de la Légion en kaki (http://rosalielebel75.franceserv.com/le-nouvel-uniforme-bleu-horizon.html)


Carte postale  Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

L’Oued Amélie (1), le 13 Juin 1916

Chérie,

Nous voilà à mi-chemin de Fez. Le temps est beau, et il fait une douce brise qui rend la marche agréable, d’autant plus que nous marchons cette fois en kaki.
Je te confirme ma dernière lettre et te prie de nouveau de ne rien prendre au tragique. Si tu allais à Nantes, tu tâcherais aussi de voir le séq.
Mes meilleurs baisers pour toi et les enfants.


                                                     Paul


Note (François Beautier)

1) - "Oued Amélie" : comme d'habitude Paul se fie à son oreille pour transcrire le nom du poste d'Oued Amelil (actuel Amlil), en tamazight la vallée blanche ou la rivière blanche, situé à une quarantaine de km. à l'ouest de Taza, dans le "couloir de Taza", à peu près à mi-distance entre Taza et Fès. Paul y est allé en novembre 1915 pour assurer la sécurité du chantier de la voie ferrée de Fès à Taza alors en construction.


mercredi 8 juin 2016

Lettre du 09.06.1916

Illustration de presse pour "La veine" (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84030371/f5.item)

Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza,le 9 Juin 1916

Ma chère petite femme,

J’ai sous les yeux tes lettres des 30 Mai, 2 et 4 Juin et, au milieu des préparatifs pour une nouvelle colonne, m’empresse de te répondre. Nous devons en effet repartir dimanche prochain 11 courant, jour de Pentecôte, pour rester 30 à 40 jours dehors, en poussant vraisemblablement jusqu’à la Région de Fez. Comme je n’ai pas raté une seule sortie cette année, j’avais quelque espoir de rester cette fois-ci à Taza, mais comme il y a, en y comprenant les derniers blessés, un très grand nombre de malades à la Compagnie, je marcherai encore, ou plutôt je courrai. Heureusement qu’on marchera cette fois-ci en kaki, c.à.d. sans capote, car dans les plaines de l’Occidental (1) des chaleurs de 50 et même 60° sont à l’ordre du jour.
Tu as raison en supposant que cette vie me fatigue - surtout moralement. Elle m’abrutit même à un tel point que que je ne songe guère plus loin qu’à la parole de Mr. Alfred Capus (2) dans “La Veine” que nous avons entendue aux Sables d’Olonne : “Tout s’arrange !” Bien sûr que l’attitude du Tribunal et le flegme de Me Bonamy m’affligent au plus haut point et si je pense comment la question matérielle qui, jusqu’ici, n’a jamais été d’actualité dans notre vie, t’assaille maintenant, je ressens quelque chose comme une immense amertume, suivie promptement d’un dégoût profond. On se dit que tout ce que l’on fait ne sert à rien, que les sentiments les plus sincères et les plus purs sont méconnus au point de décourager finalement l’homme le plus courageux ...
Mais revenons à notre cas. Dans l’état d’âme où tu te trouves, je crois que le mieux est d’aller à Nantes, voir Me By (3) et t’expliquer à fond avec lui. Tu connais la question à fond et ce que tu fais sera bien fait. Si tu trouves que tes soupçons envers By sont justifiés,  tu chargeras un autre avoué de la défense de nos intérêts, peut-être Me Lanos t’indiquera-t-il une adresse. Il me paraît dans tous les cas que Bonamy doit soumettre  in extenso les 2 jugements du Tribunal. Il est étrange que celui-ci s’occupe de la question de notre logement : comme tu le dis très bien, il pouvait tout simplement refuser, par rapport au moratorium, d’en acquitter le montant. Mais comme mon actif dans la maison L. L. & Cie était, au début de la guerre, d’environ 36 à 37 000 Frs et mon revenu annuel d’environ 20 000 (4) je ne vois pas pourquoi le tribunal s’occupe de cette question. Quant à mon contrat avec L. je ne demande pas mieux que de me séparer après la guerre, mais à des conditions acceptables pour moi. L’avenir ne m’inspire pas de crainte, et s’il nous était impossible de vivre en France, eh bien, ce sera ailleurs (5)
Tu pourras exhiber à Nantes la coupure de l’Echo d’Oran sur le cas du légionnaire Merzinguer (6) qui se trouvait même en Algérie et non au Maroc comme moi depuis 16 mois. Tu as sans doute conservé cette coupure ? Demande donc au Commissaire un laissez-passer. Je te rappelle du reste que l’ordonnance du Tribunal instituant un séq. m’est parvenue dans le temps par l’entremise de Leconte ce qui est assez bizarre.
En ce qui concerne le changement éventuel de domicile, tu connais mon opinion. Comme nous avons encore 8 mois devant nous (7), nous aurons le temps de raviser. Je préfère que tu restes à la Rue du Chalet (8) 1°) à cause des voisins et 2°) parce qu’après la guerre nous devrons examiner la situation et prendre les mesures que nous jugerons utiles ...
Tu auras lu entretemps que la bataille de Jutland est plutôt une défaite allemande car les pertes allemandes effectives, absolues (9), sont même plus élevées que les pertes anglaises, sans compter le fait que la flotte allemande a dû faire demi-tour sans percer le blocus.
Je te retourne sous ce pli la copie de la lettre du 2 cour. à Me Bonamy et celle de ton projet de lettre. Comme déjà dit, j’estime qu’il ne faut pas envenimer les choses par une correspondance de ce genre : explique-toi verbalement, va au pire voir le Procureur et tu auras le coeur net. Et si réellement tu n’obtenais rien - ce que je ne veux pas croire - laisse-toi vivre et pense comme moi et Capus que tout s’arrangera. 
Et pense encore que si même nous perdions le fruit de tant d’années de labeur, nous ne nous perdrons au moins pas.


                                                   Ton Paul


Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "l'Occidental" : le Maroc occidental.
2) - " Alfred Capus" : académicien depuis février 1914, directeur du Figaro durant la Grande guerre (il y rédigeait un bulletin quotidien), il était célèbre comme auteur de comédies, dont beaucoup furent publiées dans la revue "l'Illustration". Sa comédie "La Veine" fut créée au Théâtre des Variétés à Paris en 1901. La citation complète est: "Tout s'arrange dans la vie, mais mal".
3) - "Me By." : Maître Bonamy.
4) - "20 000" : ces sommes en francs français d'avant guerre correspondraient aujourd'hui à environ 120 000 - 130 000 € pour les actifs et à 70 000 € pour le revenu annuel.
5) - "ce serait ailleurs" : une nouvelle fois, ce genre de propos n'est guère prudent sous la plume d'un demandeur de la nationalité française. L'idée d'émigrer vers un nouveau pays est un leitmotiv des lettres de cette période.
6) - "Merzinger" : ?
7) - "8 mois devant nous" : avant l'échéance du bail.
8) - "Rue du Chalet" : dans le logement actuel, à Caudéran.
9) - "absolues" : par de savants calculs tendancieux, la presse pro-britannique (ou anti-allemande) avait réussi à alourdir les pertes allemandes (11 navires, 2500 morts, 500 blessé) au point qu'elles dépassaient celles des Britanniques (14 navires, 6100 morts, 500 blessés, 180 prisonniers). Paul ne commente pas ce grossier tour de passe-passe mais cite toutefois l'argument concluant à la victoire anglaise : le blocus a tenu. 

lundi 6 juin 2016

Lettre du 07.06.191Bataille du Jutland http://fr.euronews.com/2014/07/21/31-mai-1916-la-bataille-du-jutland/

Bataille du Jutland (http://fr.euronews.com/2014/07/21/31-mai-1916-la-bataille-du-jutland/)
Madame P. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 7 Juin 1916

Ma Chérie,

En te confirmant ma lettre d’hier, je reviens aujourd’hui sur tes différentes communications de ces derniers jours. J’avais bien lu moi-même l’appel de l’Etat pour le prêt des titres (1) et si je ne t’en avais pas parlé c’est parce que, tout en reconnaissant les avantages d’une telle opération, j’y voyais et vois encore un petit inconvénient. Si en effet nous étions forcés de vendre ces titres, les originaux seraient plus faciles à négocier que les certificats de prêt ... (2)
Penhoat m’a écrit en effet en me communiquant la réponse de L. dont tu connais la couleur. Leconte prétend que la concurrence fait une campagne acharnée autour de mon cas et que c’est lui qui se trouve de ce cas dans une situation atroce. Il n’est donc pas impossible qu’une fois la guerre terminée, L. se prête au besoin à un arrangement amiable avec moi. Car je ne te cache pas que si malgré tous les sacrifices je devais entendre encore des allusions malveillantes, je n’hésiterais pas pour quitter la France (3). Nous aurons l’occasion d’examiner la situation en temps utile. L. ne donne aucune indication tant soit peu précise sur la marche des affaires. Il se défend énergiquement d’avoir désorganisé Bordeaux et bien qu’il n’indique pas de noms je comprends quand même qu’il a eu un sérieux différent avec Siret quoiqu’en dise ce dernier et qu’il n’en était pas content du tout. Alors à qui croire ? 
Je n’ai pas suivi jusqu’au bout les discussions sur les loyers qui me traînaient trop en longueur. Toutefois si Mme Robin reçoit satisfaction pour une année, je suis aussi d’avis qu’on peut attendre avec le reste ; elle pourrait même être très contente de cette solution si toutefois elle se réalise. Le montant de la pension mensuelle avait été fixé par le Procureur ou le Président et non pas par L. À mon avis, il suffirait de posséder les conclusions du Tribunal car pour plaider l’affaire encore une fois en Cour d’Appel d’Angers reviendrait très cher. Le fait qu’on n’a pas apposé des scellés laisse supposer au surplus qu’il s’agit d’une pure formalité. Bien que cela ait été aussi l’avis de Me Lanos, tu restes persuadée du contraire !
La note du Dr Réjou est en effet modeste et je suppose que Melle Campana (4) l’a été bien moins ? En ce qui concerne Mme Plantain, tu semblais croire l’autre jour qu’elle a obéi à des ordres de son mari en se tenant éloignée, ce qui ne semble donc pas être le cas. De toutes façons il est heureux que tu n’aies pas besoin d’elle.
La guerre traîne toujours lamentablement en longueur. La bataille navale du Jutland (5) a pourtant prouvé aux Allemands qu’ils ne peuvent guère espérer de lever le blocus. 19 bateaux anglais qui font rebrousser chemin à toute la flotte allemande de haute mer (90 navires) et qui lui font subir à peu près les mêmes pertes que celles éprouvées par l’escadre anglaise - si c’est là une occasion pour pavoiser en Allemagne !!!!
Le Général Lyautey doit repasser ce soir à Taza en revenant d’Oujda (6). La fameuse prime n° 2 ne nous a point été versée, mais à l’ordinaire c.à.d. au budget de la nourriture de la Compagnie pour 1 jour (7)! Enfin, rentrant de la colonne, nous avons eu 2 jours de repos et une bonne nourriture qui nous a récompensés quelque peu des privations en cours de route. J’oubliais encore de te dire qu’un des derniers jours de la colonne, alors que je me trouvais comme agent de liaison au bureau du Territoire, une tribu amie avait envoyé une troupe de musiciens et de danseuses qui nous ont entretenus la soirée. La même tribu avait envoyé une grande quantité de lait caillé (8) et frais pour la bienvenue, et, dans la position où je me trouvais, j’ai également pu en profiter, ainsi que du pain (Kesra) qui l’accompagnait. On voit ici très peu de lait, et ce peu est généralement peu appétissant, tandis que celui-là était excellent et très propre.
Embrasse bien les enfants pour moi et reçois mes meilleurs baisers.

                                                     Paul



Notes (François Beautier, Anne-Lise Volmer)
1) - "prêt de titres" : l'État se fait prêter des titres pour garantir ses emprunts. L'appel fut lancé par le Ministère des Finances le 2 juin 1916 et publié le lendemain au Journal officiel avec un tableau indiquant la bonification à remettre au porteur lors de sa remise de titre.
2) - "certificats de prêt" : Paul avoue par cette réticence n'avoir qu'une confiance très limitée en l'État français, ce qui ne plaide pas en faveur de la naturalisation qu'il espère.
3) - "je n'hésiterai pas à quitter la France" : de nouveau une remarque qui fait planer un doute sur la sincérité du désir de Paul d'obtenir la nationalité française, et suggère qu'il caresse de nouveaux projets d'émigration. Mais c'est aussi pour lui une façon de dire à ses éventuels censeurs qu'il demeure un être fondamentalement libre...
4) - "Mlle Campana": pédiatre (ou sage-femme?), elle intervient auprès des enfants Gusdorf.
5) - "Jutland" : Paul a rattrapé son retard dans la lecture de la presse et commente maintenant la bataille dont il n'avait pas eu connaissance pendant sa colonne en territoire des Beni Bou Yala (voir la dernière note sur sa lettre du 6 juin 1916). Les Britanniques y perdirent plus de navires et d'hommes que les Allemands mais affirmèrent leur volonté de maintenir fermement le blocus maritime de l'Allemagne.
6) - "Oujda" : Lyautey avait reconquis cette ville en 1906 et lancé de ce fait la "pacification du Maroc". Oujda constituait pour lui le terme, proche de l'Algérie, de la "chaîne de fer" - le couloir de Taza équipé d'une voie ferrée continue - dont l'autre bout était son quartier général à Rabat. Les opérations menées contre les rebelles pendant le premier semestre 1916 ayant permis de “pacifier” le couloir de Taza, il était logique que Lyautey rende l’hommage d’une visite aux villes d’Oujda et de Taza.
7) - "un jour" : la prime de 10 centimes par soldat, attribuée à l'intendance pour sa nourriture, était journalière (et non pas versée un seul jour).
8) - "Bureau du territoire" : nom officiel donné aux anciens "Bureaux arabes" chargés des relations locales entre l'Armée française, les populations autochtones, et l'administration civile marocaine.

9) - "lait caillé" : il s'agit vraisemblablement de "petit lait", c'est-à-dire, en arabe, de "leben".

dimanche 5 juin 2016

Lettre du 06.06.1916

Concrétions de la grotte du Chiker (http://nature-extreme.forumactif.com/t964-photos-grotte-maroc)
Madame M. Gusdorf  22 rue du Chalet 22  Caudéran

Taza, le 6 Juin 1916

Ma chère petite femme,

Ainsi que je te l’ai fait savoir hier par carte postale, je suis bien rentré à Taza, suant à grosses gouttes, c’est vrai, mais bien portant quand même malgré quelques 40° de chaleur. C’était une assez rude colonne dans laquelle notre Compagnie a été particulièrement éprouvée, car nous avons eu environ 10% de notre effectif blessé. Il est vrai que les blessures sont en partie légères et qu’un seul de mes camarades seulement est mort. Il est à espérer que tous les autres seront sauvés. C’est la journée du 29 Mai (1) qui a été si coûteuse pour nous, notre Compagnie ayant dû prendre à l’assaut un mamelon boisé et fortement accidenté, défendu fortement par les Marocains. Enfin, les bicots mis en fuite se sont rendus le lendemain et ont fait leur soumission. Quelques jours plus tard c’était une autre aile de notre colonne qui a été fortement engagée : il y a eu des pertes dans presque toutes les unités, mais 5 ou 6 tribus marocaines se sont soumises. Une seule fraction a quitté le pays pour se réfugier chez des voisins dans la zone espagnole (2). Nous avons parcouru des paysages de toute beauté : un jour nous étions campés à côté d’une grotte immense (3) dont l’entrée était haute d’au moins 100 m. Cette grotte était traversée par une rivière et on pouvait y pénétrer à plus de 2000 m. Elle contenait du Tropstein (4) d’une blancheur immaculée, des colonnes descendant du plafond et d’autres montant du sol (Stalactites et Stalagmites) formées souvent de dentelles très fines. Pour nous orienter, nous brûlions de temps à autre des journaux, et les flammes provoquaient des effets curieux sur le Tropstein et dans l’eau, je dirais presque plus pittoresques que les ampoules électriques colorées de Rubeland (5)... Le terrain est cultivé presque partout et le blé, l’orge, l’avoine et même le seigle (ce dernier dans les montagnes) étaient mûrs. La moisson avait commencé déjà et c’est probablement cette raison qui a amené les bicots à la soumission, car dans le cas contraire ils auraient tout perdu. Malheureusement, les nuits étaient toujours mouvementées et malgré une bonne couche de paille sous les reins on ne pouvait guère dormir, car 11 fois sur les 13 notre bivouac était visé par des coups de fusil, quelquefois assez nourris, auxquels nous répondions naturellement. Là aussi nous avons eu quelques blessés ... Il paraît que nous allons repartir lundi prochain 12 cour., mais d’un autre côté (6), pour construire un nouveau poste destiné à protéger la ligne Taza-Fez actuellement en construction. Je t’écrirai dès que je serai exactement fixé.
Je te retourne ci-inclus la circulaire du CNEP et suis d’accord à ce que tu fasses l’opération. Si je me rappelle bien, il reste en dehors de la Rente Espagnole encore 1500 Frs de l’emprunt 1914 de la République d’Argentine - mais pas autre chose ? Il est vrai que l’Argentin n’est marqué que 88% alors que nous l’avons payé 96,50, mais il ne faut pas oublier qu’au lieu des prix de la liste on peut se faire payer le plus haut cours du semestre précédant l’achat éventuel par l’Etat. Au surplus, si celui-ci a un grand intérêt aux titres espagnols, il l’a bien moins pour les Argentins ... Enfin les 25% d’augmentation pour les intérêts sont appréciables ... Tu peux donc, si tu veux, prêter l’Espagnol seul ou l’Argentin avec. La Banque sait l’affaire du séq. comme tu le supposes bien ; ce serait donc à elle de s’adresser à lui si toutefois elle le juge opportun !
Je t’écrirai demain plus longuement au sujet de tes autres demandes, étant encore très fatigué (7).

                                                Ton Paul


Notes (François Beautier)
1) - "29 mai 1916" : ce jour est effectivement retenu comme celui d'une bataille de 17 heures, dite de Djenan Mechbeur, contre les Beni Bou Yala et les Branes dès l'entrée du Groupe mobile de Taza sur leur territoire. Les rebelles ne s'enfuirent qu'après l'intervention des sections de mitrailleuses puis de l'artillerie avec ses canons de montagne de 65 et 75 mm. La bataille coûta la mise hors combat d'une dizaine de Légionnaires. Paul a participé à ce combat (son livret militaire le mentionne), cependant il ne le dit pas à Marthe.
2) - "zone espagnole" : au nord du Rif. Les rebelles marocains s'acharnent à maintenir la liaison nord-sud entre les tribus du Moyen Atlas et celles du Rif, de part et d'autre du "couloir de Taza" que suit l'oued Innaouen.
3) - "grotte immense" : la description du cadre et des particularités de cette grotte indique sans équivoque qu'il s'agit de la plus grande des grottes du Chiker, dans le Djebel Tazzeka qui domine le couloir de Taza en faisant avancer le Moyen Atlas vers le Rif. Ceci signifie que le Groupe mobile de Paul est parti de Taza vers le sud pour contourner le col de Touahar et rejoindre le couloir de l'oued Innaouen par Sidi Abdallah des Rhiata. 
4) - "Tropstein" : en fait "Tropfstein", terme allemand désignant les concrétions de calcite (stalactites et stalagmites).
5) - "Rubeland" : Paul a parlé des célèbres grottes allemandes de Rübeland dans sa lettre du 9 mai 1916.
6) - "d'un autre côté" : vraisemblablement par le nord du "Couloir de Taza" pour protéger la ligne ferroviaire dans le secteur de Sidi Abdallah des Rhiata.

7) - "très fatigué" : Paul est aussi sous-informé, n'ayant pas eu accès à la presse pendant sa "colonne". Sinon il aurait évoqué la "Bataille navale du Jutland" (ou "du Skagerrak" pour les Allemands), gagnée à fortes pertes par les Britanniques au soir du 31 mai 1916, et les combats acharnés des troupes coloniales françaises du Maroc pour la reprise du Fort de Vaux qui résiste depuis le 2 juin dans le secteur de Verdun...